mardi 16 septembre 2014

Richard analyse dAcRuZ !

La fresque de dAcRuZ [ici] sur le mur de la maison de l'éclusier a été reproduite dans le blog mais n'a pas été l'objet d'un commentaire. Aussi, Richard nous propose ce post qui illustre une démarche d'analyse des œuvres.


Les chalands, les curieux, les amoureux du quartier ont tous remarqué la succession des fresques de 
dAcRuZ sur le même emplacement : sur le mur de l'enclos qui jouxte la maison de l'éclusier quai de la Marne. Après la démolition de la centrale thermique et le début de la construction de Canal Square, seuls deux espaces étaient "disponibles" pour l'expression des street artists (du moins, ceux qui comme dAcRuZ respectent la belle façade de pierre calcaire de la maison de l'éclusier). 
En réaction à la construction des murs en béton donnant sur le quai, dAcRuZ a peint une fresque. Les motifs géométriques et l'oiseau peints par dAcRuZ sont l'occasion pour lui de réaffirmer sa présence dans le quartier et de servir de cadre esthétique à une proclamation urbi et orbi : I still love my ghetto.


Abondamment taguées par des "crews" concurrentes qui, en détruisant l'œuvre de dAcRuZ, revendiquent la propriété des espaces, les deux faces de la fresque n'avaient plus d'intérêt pour le street art.

   



dAcRuZ, dans un deuxième temps, a recouvert les deux faces de la fresque et les tags par une fresque a deux faces représentant le visage de son double dans l'univers du street art, ce curieux masque que j'ai décidé de mon chef d'appeler l'Inca. Les deux faces du visage de l'Inca sont quasi symétriques par rapport à l'axe que représente l'arête du mur. Les éléments constitutifs du visage se répondent : les yeux, le nez, la bouche. De la même manière, les motifs décoratifs correspondent : les surfaces cerclées de couleurs, l'étoile. Pourtant, les deux côtés du visage sont différents. La fresque côté canal est traitée avec une harmonie de couleurs vives et complémentaires (le vert et le rouge par exemple). Les contrastes sont en conséquence très forts.

Ils sont renforcés par l'opposition du blanc et du noir. Le noir est utilisé pour cerner les surfaces colorées, en fractionner l'étendue. C'est un rehaut qui donne à cette face de la fresque une puissance colorée importante qui accroche le regard. Le traitement des surfaces est sommaire et correspond à un fractionnement qui est relativement peu important en comparaison du soin que dAcRuZ a apporté aux traitements de surfaces comparables dans sa fresque de la rue de l'Ourcq et celle de la rue Germaine-Taillefer. Nul dégradé ici fait avec plusieurs couleurs de bombes, ni de savantes superpositions de projections d'aérosols.
Le côté Canal Square est traité de la même manière, rapide, à grands traits. L'harmonie colorée est très différente. Les teintes douces dominent : les verts et les bleus se fondent et s'accordent avec les blancs et les fins tracés noirs. Les deux faces sont quasiment semblables du point de vue du dessin mais s'opposent du point de vue de la couleur.

La signification des deux faces d'un même visage semble a priori simple : elle est contenue dans le titrage de l'œuvre. Une nation, un amour pourrait librement s'interpréter de la façon suivante : nous formons, quoique différents, une nation et nous devons, malgré nos différences, nous aimer.

En y regardant de plus près, on remarque que chaque face du visage est "indépendante". Chaque face a un nez, des lèvres, une bouche. Ainsi, les deux faces du visage ne forment pas un visage, mais deux demi-visages.


La logique du discours aurait été de faire en sorte que graphiquement les deux faces qui s'opposent se fondent et ne forment qu'un seul visage. Cela aurait été une belle illustration de l'intégration. Le problème c'est que dAcRuZ n'a pas réuni les "contraires".

Je pense que ce n'est pas un oubli ou une erreur. C'est un signe que Papa Freud dans la Psychopathologie de la vie quotidienne aurait eu plaisir à disséquer. On peut faire l'hypothèse que l'artiste considère que des différences existent et que l'amour de l'autre s'accommode des différences. La nation n'est pas la collection de citoyens semblables mais la communauté de destins d'hommes et de femmes différents.



En conclusion, la fresque de dAcRuZ, par ses manques, est riche d'une signification de nature politique. À l'antienne "L'artiste se révèle dans ses œuvres", je préfère une autre formulation : l'œuvre échappe en partie à l'artiste et rend compte de son système de pensée.

1 commentaire:

  1. DaCruz fait de la décoration d'extérieur, il est sans doute inutile d'y chercher le fonctionnement de sa vie psychique. En revanche, en recouvrant régulièrement les tags sauvages et les grafs d'autres graffeurs inconnus, il s'érige en artiste désormais légitime, institutionnalisé.
    Les institutions ne s'y trompent d'ailleurs pas, puisque les acteurs municipaux lui demandent maintenant d'animer des activités en "cultures urbaines", tandis que d'autres l'emploient à décorer leurs fonds de commerces.
    DaCruz, une entreprise bientôt aussi prospère comme celle de Miss Tic ?

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