Richard nous propose aujourd'hui un billet qui inaugure une série de posts consacrés au pochoir. Le fil d'Ariane qui reliera ces petits billets est une interrogation : le pochoir est-il un (street) art mineur ?
D'après les religions transcendantales, le Créateur inventa l'Homme et les premiers hommes inventèrent le pochoir. Enfin, pas tout à fait. Dans les peintures rupestres représentant le plus souvent des animaux, voire des scènes de chasse. On trouve aussi un peu partout dans le monde sur les parois des grottes, des mains. Les savants ont des hypothèses sur leur fabrication : ils pensent que les "artistes" préhistoriques avec leur bouche ont vaporisé un liquide contenant des pigments laissant en creux la forme d'une main. La forme de la main se dessine par absence de pigments. C'est une "lacune", c'est-à-dire, le contraire du pochoir. Lui évide des espaces qui sont remplis de pigments colorés.
Rien n'est plus simple que de faire un pochoir. Regardez les tutoriels sur YouTube, prenez des feuilles de carton fort, un cutter ; avec un traitement d'images basique vous traitez une photographie de manière à faire apparaître les zones colorées (un clic suffit !), vous découpez autant de feuilles que de couleurs, un rouleau d'adhésif, autant de bombes aérosols que de couleurs et... zou, vous voilà street artist.
Des pochoirs, il y en a de toutes sortes (on compte les couleurs, une couleur, deux couleurs, trois couleurs etc.) représentant un peu tout... et n'importe quoi. Et il y a les grands du pochoir. Par ordre d’ancienneté dans la fonction, je citerai trois noms :
Mosko et associés (nous avons reproduit leurs pochoirs dans nos colonnes),
Artiste-Ouvrier et Christian Guémy alias
C215 (nous avons également consacré plusieurs billets à cet artiste).
Sans conteste, il suffit de voir le nom des galeries qui vendent ses œuvres, les commandes institutionnelles qu'il reçoit (ministère de la Justice, place Vendôme, centres pénitentiaires...), et le prix de ses pochoirs pour vérifier que C215 est, dans le petit monde du street art, le pochoiriste le plus coté.
Reste à savoir en quoi il est remarquable. Je prendrai comme d'habitude l'exemple d'une seule œuvre. Cette œuvre était la première exposée dans le cadre de son exposition dans les salles de la mairie du XVIIIe arrondissement. C'est un panneau électoral et il est censé représenter le chanteur populaire C. Jérôme. Pourquoi pas C. Jérôme dans une expo titrée
Douce France ? Sauf que ce n'est pas C. Jérôme mais Jérôme Coumet, le maire de l'arrondissement, ami de C215 et street art friendly. Private joke, C. Jérôme, Jérôme... vous me suivez. En plus, bien sûr, la ressemblance. Le logo du PS aurait dû vous questionner. Passons, ce n'est pas cela qui m'intéresse.
Maintenant que vous savez qu'un pochoir correspond à une couleur, vous pouvez apprécier le nombre de couleurs et surtout la précision du découpage. C215 est un artisan qui découpe lui-même ses pochoirs. Cette finesse du découpage (il suffit d'observer les cheveux pour s'en convaincre), ce souci du détail, sont la marque de fabrique de C215. Imaginez ce portrait réduit aux limites des pochoirs, enlever tout ce qui ne correspond pas à une projection de peinture avec une bombe. Vous saisissez ?
Je vous aide : regardez la cravate et cet ajout de rose fait au pinceau. La veste avec des ajouts multiples appliqués à la brosse du noir, du rouge, du bleu, du blanc, du jaune (
stricto sensu, une veste noire est peinte en... noir !). Regardez le fond, les projections, les grandes lignes dynamiques, la variété des couleurs. Nous y sommes, ce qui fait la spécificité de C215 ce n'est pas le pochoir mais ce qu'il y a autour et "en plus". Le pochoir reste le motif central mais le peintre (par opposition à pochoiriste) intervient sur cette base pour la mettre en valeur, étendre sa surface, lui opposer des formes peintes qui relèvent de la peinture de chevalet.
Bref, C215 est un grand pochoiriste parce qu'il a dépassé le pochoir grâce à son talent de peintre. Richard