lundi 8 septembre 2014

Drôle d'endroit pour une rencontre

Richard reprend sa plume pour nous proposer un post sur Bilal Berreni. Deux raisons à cela : l'actualité de l'inculpation de trois hommes à Détroit accusés de l'assassinat de Bilal et une "découverte" qu’il a faite au mois de juin dernier et qui n'avait, faute de temps, pas été l'objet d'un post.

C'était un lundi après-midi de juin. Il faisait une chaleur accablante, j'avais tout le temps de ne rien faire. Après m'être rapidement consulté, je décidai de partir en chasse. Chers amis lecteurs, vous le savez déjà, mes gibiers préférés sont les traces que laissent les hommes sur les murs. Je traque toutes les traces depuis plus de 40 ans avec un appareil photo. Toutes les traces m'intéressent : les graffitis, les collages, les tags, les fresques. Elles parlent toutes de leurs auteurs et de notre époque. Improbable conjonction d'intérêts : ma formation d'historien, ma passion pour l'ethnologie urbaine et celle de la photographie.

Bref, sur le coup des trois heures, sac à dos à l'épaule et tennis aux pieds, je pars au hasard des rues, regardant les murs. Comme d'habitude, conformément au contrat que je me suis fixé, je n'emprunte jamais deux fois la même rue. Je me retrouve rue de Bagnolet sans avoir rien tiré. Pas de gibier. Rue de Bagnolet, je tourne à droite (pourquoi pas à droite ?) et sur une vieille porte métallique d'un entrepôt qui a déjà été rasé, je vois une fresque. C'est du street art certes mais moche, pas d'idée, mal fait.
Elle ne mérite pas une photo.

Comme la porte est ouverte, je rentre dans un terrain vague ou plutôt un vague terrain. Le sol a été creusé par des engins. Autour, des murs couverts de fresques et de tags. Aucun intérêt, pas digne d'être chassés. Sur la droite d'une maison abandonnée et abondamment taguée, un semblant de chemin qui monte. N'écoutant que mon courage et mon goût pour les endroits interlopes, je gravis le sentier au milieu des hautes herbes et des ronces et me retrouve sur la Petite Ceinture. Je regarde à droite et à gauche et découvre le dernier gigantesque terrain d'aventures de Paris. Tout est tagué : les rails, les murs des immeubles bordant la voie, les vieux signaux de signalisation, des vestiges de quais. Des bombes de peintures vides au bas des murs, des rouleaux usés, des canettes vides de toutes les boissons djeunes. C'est comme une mégapoubelle qui fait le tour de Paris. Au pied d'un mur d'immeubles HLM, des ados, juste sortis du collège (déjà 17 heures et toujours rien dans la carte mémoire) taguent leurs noms.
J'apprends que ce ne sont pas leurs noms mais leurs "blazes" (c'est un mot américain, rien à voir avec le blaze français). Ils m'expliquent que c'est leur nom dans le milieu du street art, qu'ils ne peuvent pas peindre leurs noms vu que c'est interdit de peindre sur les murs et que eux trois forment un "crew" (c'est aussi un nom américain, une équipe, un groupe mais leurs potes préfèrent "gangs" et d'autres mots américains qui sentent l'interdit, l'illégal, le "milieu").


Bon, trois ados qui taguent un pauvre mur qui a déjà subi tous les outrages, c'est pas une grosse prise. Ils s'entraînent mais il y a du boulot ! Plus loin, en marchant sur la droite (pourquoi la droite ?), en suivant la voir ferrée, vue d'en bas, je vois ce qui reste de la gare de Bagnolet.


Décidément téméraire, je rentre dans les tunnels. Sur les murs, des milliers de tags recouvrent des milliers de tags qui recouvrent... Bof, des tags dans un tunnel sombre dans lequel ne passe personne depuis des décennies, c’est pas l'affaire du siècle.
Je sors du tunnel et regarde sur la gauche (histoire de changer).


Waouh!!!! Une fresque de Zoo Project de 30 mètres de haut au bas mot. Les tagueurs du coin qui sont légion ont respecté la fresque. Je zoome et ému vois une fresque qui parle d'amour et de sensualité. L'idée est forte comme un concept. Nul besoin de couleurs pour transmettre au monde des vivants ce qu'il pense, lui, Bilal Berreni. Une ligne claire comme l'aimait Hergé. Une précision des lignes, regardons ces deux mains qui s'étreignent et une économie des moyens : deux couleurs le noir et le blanc, pas de visages (il s'agit de l'union des corps). La hauteur de la fresque impressionne : l'image de colosses de l'Égypte ancienne s'impose à moi. Un homme, une femme, beaux, jeunes, cariatides modernes contemplent le vide de la Petite Ceinture. Ils s'aiment et leurs corps sont faits l'un pour l'autre.


Aujourd'hui, j'apprends que trois hommes âgés de 17 à 20 ans ont été inculpés du meurtre de Bilal Berreni. Sur le mur, Bilal parlait d'amour avec ses mots à lui. Bientôt, les employés chargés du nettoyage de la Ville de Paris, au Kärcher, effaceront pour toujours cette bouteille à la mer jetée par Bilal. Ils feront bien leur travail : aucune trace ne restera. Le mur sera blanc. Blanc comme la mort.

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