vendredi 1 mai 2015

Le street art dans notre quartier

Aujourd'hui, Richard nous propose un essai de compréhension des causes de rivalités entre les crews mais pas seulement...

Je voudrais essayer, en fonction des connaissances que j'ai et qui sont par définition partielles, de cerner les ressorts d'une "économie du street art" dans notre quartier.

Avant la construction de la crèche collective de la rue de l'Ourcq, le territoire de dAcRuZ et de Marko était vaste. Il comprenait, du nord au sud, le grand mur de la rue de l'Oise, une partie du quai de l'Oise, la rue de l'Ourcq (de son intersection avec la rue de l'Oise au croisement avec l'avenue Jean-Jaurès), tous les murs qui cernaient la centrale thermique, deux murs se coupant à angle droit du quai de la Marne, la rue de Thionville. Il serait plus juste de dire le territoire de dAcRuZ, l'enfant du quartier, de Marko son copain du 9-3 et de leurs invités. On y trouvera des noms fort connus du milieu parisien, Mesnager, Mosko et associés et des artistes venant d'Afrique du Sud, du Portugal... Bref, des street artists rencontrés lors de manifestations nationales ou internationales. On voit le rôle central de médiateur qu'a joué et que continue à jouer dAcRuZ dans la vie du "spot".




L'urbanisation a changé la géographie des lieux : la rue de l'Oise et le quai sont "sortis" du spot, toute la partie droite de la rue de l'Ourcq également (le côté droit en allant vers l'avenue Jean-Jaurès), les murs de la centrale ont disparu avec la centrale. Restent un portail de la rue de Thionville, un tout petit bout du quai de la Marne exclusivement dacruzien, le pont de la rue de l'Ourcq, les "arches" du côté gauche de la rue de l’Ourcq. Sont venus s'ajouter, une partie du pont de la Petite Ceinture et un côté de la rue Germaine-Taillefer. 


Le territoire qui avait une relative unité géographique a été morcelé. De plus, tous les murs n'ont pas le même intérêt pour les artistes. Le grand mur de la rue Germaine-Taillefer est ce que je vais appeler un "mur mort" : les fresques ont été réalisées dans le cadre d'Ourcq Living Colors et elles n'ont pas été recouvertes par d'autres depuis juillet 2014 !  Cette rue qui n'est guère animée n'intéresse personne (comparons avec les fresques de la rue Noguères et de la rue Dénoyez). Le mur peint par dAcRuZ sur un côté du pont de la rue de l'Ourcq semble avoir, avec le temps, acquis un statut patrimonial (et c'est tant mieux!, même si on peut être en désaccord avec le fond comme je le suis moi-même). Le mur du quai de la Marne qui jouxte Canal Square, après une revendication de Nite et de son crew, reste dans l'escarcelle de dAcRuZ. Il est vrai que le quai est très fréquenté et que l'emplacement assure une bonne visibilité des œuvres.  La partie la plus disputée est ce qui reste de la rue de l'Ourcq. La rue est très passante ; la circulation automobile y est dense. Conséquence, le regroupement des œuvres dans une même portion de rue et l'excellente visibilité des productions en font un lieu recherché qui a été contesté. Je me suis amusé à mesurer "à la louche" les mètres linéaires appartenant à dAcRuZ, Marko et leurs invités ; j'en ai compté avec le retour du pont SNCF, environ 162. Nite et son crew ont la portion congrue soit 6 mètres. 

La délimitation des territoires, c'est-à-dire, des surfaces à peindre, n'est pas suffisante pour comprendre ce qui se joue dans notre quartier. dAcRuZ et Marko sont des professionnels qui vivent de leur art. Ils gagnent de l'argent de différentes manières : d'abord il faut faire savoir au milieu du street art que vous existez et donner des exemples de votre travail. Pour cela, il est bien que les œuvres qui illustrent votre talent soient regroupées pour faciliter les choses. Les murs sont comme les pages d'un catalogue d'une galerie d'art. Si les œuvres sont disséminées dans tout Paris, c'est pour imposer l'"avatar" qui vous représente. Je pense à M. Chat : son chat est un peu partout et presque toujours semblable. L'artiste n'a pas besoin de montrer toutes les facettes de son art : M. Chat peint des chats, parfois des petits nuages. À part "chat", pas grand-chose d'autres (mais c'est suffisant pour être connu internationalement et vendre des toiles et plein de "produits dérivés"). Le chat est le blaze de l'artiste et la présence du chat dans des endroits insolites et dans de très nombreux pays est le projet d'intervention de son créateur.

Pour dAcRuZ, la figure de l'Inca joue en partie ce rôle mais dAcRuZ fait aussi d'autres choses que des têtes vaguement précolombiennes. Pour que lui et ses amis montrent la "palette" de leurs talents, le rassemblement des productions en un même lieu permet à l'amateur de voir plus aisément plusieurs productions fort diverses. Prenons l'exemple de dAcRuZ, rue de l'Ourcq, on verra des têtes d'Inca de face, de profil, de trois quarts, deux oiseaux etc. Pour Marko, la rue de l'Ourcq est un musée à ciel ouvert des techniques qu'il a utilisées depuis trois ou quatre ans et un catalogue de ses sujets de prédilection (les animaux, le portrait etc.)

Les murs sont trop grands pour rentrer dans l'espace d'une galerie, le vrai catalogue, celui qui fait connaître et apprécier une œuvre, c'est la rue. La renommée vient de la rue, les commandes viennent de la monstration des œuvres in situ. Les mètres linéaires d'un spot qui regroupe vos œuvres ont une valeur, une valeur marchande (qui peut être enviée et contestée !)

    


Ajoutons que la photographie est intégrée dans le processus marchand. L'artiste photographie toujours ses œuvres dès qu'elles sont terminées et poste ces photographies sur le plus grand nombre de réseaux sociaux : d'abord la page FB et le site Internet dédié à l'artiste et tous les médias ciblés qui diffusent des représentations de street art (Pinterest, etc.). Pour notre quartier, les conséquences sont... curieuses et atypiques. Le renouvellement provient exclusivement des "rénovations" de dAcRuZ, de Marko et de leurs amis. Le spot, en ce sens, est "mort". Il ne viendrait jamais à l'idée d'un street artist étranger de passage à Paris de faire une fresque rue de l'Ourcq. Il sait que ces murs sont réservés et que de toute manière, ils ne sont pas visités comme d'autres spots parisiens (comme celui de la rue Ordener qui correspond à ma définition d'un spot vivant).

Les spots de notre quartier, qui se réduisent comme peau de chagrin, ne sont pas vivants. Ils ne sont pas morts non plus : ils sont en sommeil et ne peuvent pas témoigner de ce qu'est la vraie vie d'un spot, le cycle du renouvellement, de la confrontation avec d'autres artistes, d'autres visions du monde et de l'art.

Et si les "habitants d'Ourcq" intervenaient pour garder ce qui mérite d'être gardé (les œuvres patrimoniales) et créaient les conditions pour éviter que ne s'éteigne une des formes les plus accessibles, les plus dynamiques, les plus innovantes de l'Art contemporain ? Et puis, il serait temps que nous nous prenions en charge pour qu'Ourcq soit un quartier vivant, ouvert sur les arts, street art friendly. "Il n'est pas de sauveur suprême"..., alors construisons le quartier dans lequel nous voulons vivre, aimer, penser, rêver, flâner... N'attendons de personne le droit de décider pour nous ce qui est bien. Utopique ?, mais bien sûr, c'est utopique... so what ?


Toutes les photographies ont été prises dans notre quartier par Richard ; les œuvres sont, en partant du haut, de Sane2, dAcRuZ (3), Artof Popof, Mosko et associésSeize, Marko (2), Artof Popof et Averi.

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