mercredi 11 mars 2015

De l'importance des affiches sur la formation de l'opinion publique

Mon enfance [Richard] a été marquée par des affiches publicitaires, des slogans politiques, des "Americans go home", "libérez Sidos". Bien sûr, je ne comprenais pas tout. Plus de 60 ans après, je me souviens du graphisme, des couleurs des affiches, du mot à mot des petites phrases des publicitaires et des militants politiques. Est-ce à dire que les affiches, les slogans peints sur nos murs ont eu une incidence sur la formation de l'opinion publique ?
Cette question n'est pas que théorique. J'ai commencé à y réfléchir quand dAcRuZ après les massacres de début janvier à affiché "Je suis La France" en dessinant les symboles des religions musulmane, juive et chrétienne. Quand j'ai vu que certaines affiches étaient "respectées", j'étais content. J'étais inquiet quand d'autres étaient lacérées. Même scénario avec l'affiche de Combo.

Trop simpliste pour être pertinent. Revenons sur les affiches. L'avatar de dAcRuZ, le personnage qui porte sa parole, décline "Je suis Charlie" en "Je suis la France". La première version portait l'affirmation de la liberté d'expression et subséquemment celle de la presse et son corollaire la légalité du blasphème. Nous étions sur le plan des principes constitutionnels qui fondent la Ve République. dAcRuZ change de plan et situe le débat sur un plan religieux en prônant la tolérance religieuse. Qui plus est, tolérance entre les musulmans, les juifs et les chrétiens compris comme des communautés. Simplifions cette difficile équation, les chrétiens ne jouent aucun rôle dans ces tensions. Restent les musulmans et les juifs. Mais qui a intérêt à nous faire croire que ce sont des communautés. Une communauté, c'est un groupe d'individus homogène ayant les mêmes croyances, les mêmes projets de vie, les mêmes valeurs, une organisation, une hiérarchie etc. Notre République ne reconnaît pas les communautés et je ne connais pas de groupe dans notre pays qui réponde à ces quelques critères. Bref, ceux qui essaient de nous faire croire que les récents événements s'expliquent par une guerre des religions soit se trompent, soit nous cachent que les objectifs sont politiques.

   


Revenons à l'affiche de dAcRuZ. Son initiative ne manque pas de courage et rares ont été les street artists qui ont manifesté leur révolte devant les Massacres de janvier. Courageux mais à côté de la plaque. Généreux mais dangereux de transformer un conflit politique en "guerre de religion". C'est plus simple à comprendre : tout le monde connaît les guerres de religion. On sait ce qu'il faut faire : en appeler aux hommes de bonne volonté de tous les camps. Pendant ce temps-là, on ne règle pas le problème politique.

Pour Combo, même observation. Pire encore. Sans nul doute, il choisit le mot "coexiste" parce qu'il lui fallait un croissant pour symboliser l'Islam, un X pour la croix de David et T pour la croix des chrétiens. Je condamne son agression bien évidemment. Ce qui a choqué quelques imbéciles, c'est qu'un musulman en djellaba et blouson, l'index impérieusement levé semble imposer la concorde religieuse. Alors que le mot avait été choisi pour des raisons de forme, c'est le fond qui dérangea. Personne ne s'interrogea sur le sens du mot coexister. Les personnes de ma génération l'associent à la "coexistence pacifique" de la guerre froide. Autrement dit, l'équilibre de la terreur. Nous l'avons vécu de 1945 à l'effondrement de l'URSS : cela n'avait rien à voir avec la solidarité entre l'Est et l'Ouest, la concorde. À l'échelle d'un pays, la coexistence c'est le vivre ensemble de communautés différentes et dans un pays-nation, il n'y a pas de communautés.
Bon, Combo a payé au prix du sang son courage, même si son message n'a pas, à mon sens, une grande pertinence politique.

Les affiches de dAcRuZ, de Combo, "respectées" ou pas, les tags provocateurs qu'ils soient pertinents ou non, n'ont aucun effet macroscopique sur les opinions publiques. Ces signes certes suscitent des émotions : des émotions qui correspondent à nos engagements partisans, à nos idées, à nos valeurs. Ces émotions qui sont de l'ordre du ressenti soit confortent notre système de pensée soit l'impactent. L'émotion qui va dans le droit fil des convictions construites année après année est absorbée et intégrée sans davantage d'analyse. Celle qui s'oppose à mes croyances est rejetée sans examen car trop éloignée du noyau dur de mes certitudes.

À la question, est-ce que les affiches au contenu militant des street artists ont une incidence sur l'opinion, je répondrais que non, si elle est collée sur un mur dans une rue peu passante, de toute manière des millions de fois moins efficace qu'un spot de pub de 30 secondes à la télévision. Maintenant, si l'affiche est de Banksy, et est reproduite à des millions d'exemplaires dans le monde, faut voir ! Quoique je demeure dubitatif sur la fonction des images dans les mouvements sociaux (il est à cet égard passionnant d'analyser les remarquables affiches sérigraphiées de mai 68 et ce qui fut l'issue de ce formidable mouvement social qui ne changea pas le régime mais changea en profondeur notre société). 

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