Aujourd'hui, Richard ne parle pas street art mais nous raconte l'histoire de la découverte d'un lieu unique à Paris. Il borde le canal Saint-Martin. C'est près de chez-nous. Mais ça ne se visite pas. Voilà une bonne raison d'en parler.
Depuis 40 ans de résidence dans mon quartier, grand marcheur devant l'éternel, photographe amateur toujours à l'affût de la belle image, j'ai arpenté, partant de la rue de Thionville, bien des itinéraires. Certains, comme les réseaux de neurones inutilisés de notre cerveau, ont disparu de mes désirs d'aventures urbaines. D'autres ont subsisté je ne sais pour quelles raisons : revisitations régulières de lieux de mémoire, constantes découvertes de "choses nouvelles et intéressantes". Un circuit a ma préférence : bassin de La Villette, quai de Jemmapes ou de Valmy, Bastille, bassin de l'Arsenal, enfin la Seine.
Je suis, par voie de conséquence, passé devant la devanture de la cristallerie située au 84 du quai de Jemmapes de très nombreuses fois. J'étais étonné par la devanture elle-même, une murette en briques de couleurs, des petits carreaux comme on n'en fait plus depuis les années 1900, et en jetant un œil au plafond, des courroies, des roues comme j'en avais vues sur les gravures représentant des ateliers au XIX
e siècle. Ces souvenirs sont restés en
stand-by dans un coin de ma mémoire, jusqu'au jour où ma femme a ébréché un superbe vase en cristal de chez Dior, une rareté. Cristal, cristallerie, le lien était fait et, profitant de mon itinéraire fétiche canal de l'Ourcq/la Seine, ma femme et moi sommes allés frapper à la porte de l'atelier interdit. La cristallerie était, comme c'est étrange, une cristallerie. La seule de Paris, je l'ai appris plus tard. Un petit atelier modeste, une entrée qui sert de bureau, une pièce dans le fond qui est une salle d'exposition et une vaste pièce qui ouvre sur la clarté du canal Saint-Martin. Mon vase a été réparé et inscrit dans le listing des clients.
J'ai été invité à la traditionnelle journée "portes ouvertes" annuelle. J'ai pu pénétrer dans l'atelier, observer une jeune femme qui taillait le cristal, éclairée par le jour de la devanture et un éclairage électrique plus ponctuel. Les courroies sont reliées à des roues qui démultiplient le mouvement des meules (c'est le principe d'une boîte de vitesses de voiture). Le tout est entraîné par un seul moteur électrique, seule concession faite au progrès des techniques. Les meules sont rangées sur les murs ; elles datent d'un autre âge. Grâce aux commentaires de la "patronne", j'ai enfin compris ce que je voyais sans comprendre. Fondé en 1890, l'atelier a créé jusqu'aux années 30 des services de cristal pour les grandes marques du luxe, Vuitton, Hermès, Puiforcat. Les roues étaient mues par une aube qui profitait du courant du canal. Quant à la vaste devanture, tout en longueur, aux vastes ouvertures, elle servait bien à éclairer les tours des cristalliers disposés en rangées faisant face à la lumière.
Dans les années 60, devançant les changements de modes, le gendre du propriétaire, M. Nicolas, renonça à la fabrication pour se recentrer sur la réparation. Une des filles de M. Nicolas se maria avec M. Schweitzer qui reprit l'affaire.
Bref, une nouvelle fois je découvrais que je voyais des choses sans les comprendre (ce n’est pas bon pour mon ego !), qu'un atelier de cristallerie "dans son jus" existe encore près de chez moi et que le canal était aussi une source d'énergie et pas seulement un approvisionnement en eau de Paris et un moyen de transport des matériaux.
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