À Villeparisis, où je suis né, il y avait deux endroits dangereux pour les enfants : le canal de l'Ourcq et les galeries d'une gigantesque mine de gypse qui existe encore de nos jours. Bien sûr, moi et mes "copains", dès que nos parents lâchaient un peu la bride, nous hantions ces lieux, tous deux fort mystérieux, interdits et... théâtre de nos exploits.
Mon problème, c'est que ce goût des lieux interdits ne m'a pas quitté six décennies plus tard et qu'armé de mon seul appareil photo, j'aime pénétrer dans ces espaces interdits au public mais pas aux curieux.
Dans notre quartier, que j'aime appeler "Ourcq", quoique cela ne soit pas le nom de son identité administrative, tellement l'incidence du canal de l'Ourcq est grande non seulement sur sa géographie mais aussi sur la sociologie et l'urbanisation de cette partie de notre arrondissement, nous sommes tous concernés par la Petite Ceinture. Cette ancienne ligne de chemin de fer qui à l'origine reliait les grandes gares parisiennes est à la recherche d'un avenir. Nous avons, dans nos colonnes, fréquemment évoqué les divers projets de la Mairie de Paris et de Réseau ferré de France. Il est vrai que les projets se succèdent depuis de longues années et que seules quelques portions ont été aménagées. Pour ce qui nous concerne, la Petite Ceinture est un immense terrain vague qui rappelle les "fortifs", et qui, comme elles, ayant un statut provisoire, est un espace de liberté.
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Sous les ponts, dans l'entrelacs des structures métalliques de la seconde moitié du XIXe siècle triomphant, des tags par milliers, "des essais" de fresques, dessinent un monde souterrain que nous ignorons. Je crois, comme Baudelaire que la beauté a à voir avec le mystère et le mystère avec la peur. Rien dans ce monde n'a de la valeur, au sens marchand, mais ces "paysages" interdits ont la splendeur de l'éphémère. En les voyant, nous savons que bientôt, la ville, la société et ses lois, régiront de nouveau le désordre. Un ordre nouveau naîtra certes, un espace civilisé, contrôlé, organisé et la Petite Ceinture sous les Buttes-Chaumont ira rejoindre les poubelles de l'histoire.
Et les "sans-dents", les "sans-papiers", les "sans-le-sou" où iront-ils ? Dans d'autres non-lieux, dans des trous encore plus profonds, dans d'autres pays pour se glisser dans le désordre des sociétés établies, ailleurs. Ils seront comme aujourd'hui les invisibles qui vivent de nos déchets, habitent nos endroits désertés, cachés, car ces dépotoirs sont encore préférables à ce qu'ils ont quitté sans espoir de retour.
Une promenade, je le concède qui est loin d'être bucolique, mais je ne résiste pas à cette beauté ambiguë, à ces décors affreux où des drames humains qui s'y nouent, à cette présence fugace d'un temps presque achevé.
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