lundi 15 décembre 2014

C215 et la caravane de son pote le Gitan

Merci Richard pour l'étude de cette belle œuvre de C215. Vous pourrez retrouver C215 à la mairie du XIIIe du 15 décembre au 28 janvier 2015 avec son exposition Douce France.

Vendredi 10 décembre, Paris. Il fait sombre. Il fait froid. Les bords du canal de l'Ourcq ressemblent aux côtes de la mer du Nord, désertiques et tristes. Les services de nettoiement de Paris et de Pantin ont fait leur travail : les murs sont blancs, seuls quelques graffs malhabiles témoignent de la volonté de petits gars de la banlieue de jouer dans la cour des grands. Quelques tags dans les endroits difficiles d'accès ; les employés municipaux ne prennent pas de risque. Les street artists ont déserté les rives du canal, comme le soleil d'automne, si beau et si fragile.

Derrière le Cabaret Sauvage, dans le parking "backstage", une caravane ruinée. Sa porte est grande ouverte, sa fenêtre aussi. Elle ne prendra plus la route. Les autres caravanes, celles des gens du Cabaret Sauvage, sont de l'autre côté, rassemblées à droite de l'entrée du public. Elle est seule dans un décor qui fout le bourdon. Cette caravane posée là comme une baleine échouée est abandonnée à la fureur de la pluie et du vent. Elle est  magnifiquement décorée par C215.

   



Bien sûr, la peinture commence à s'écailler, la mousse recouvre en partie l'avant, mais l'œuvre s'impose par sa beauté et sa cohérence thématique. Des Tziganes sont représentés sur trois faces de la caravane. Les pochoirs sont d'une grande précision ; les aplats qui pourraient être peints d'une couleur unique sont parcourus d'un réseau dense de traits noirs. On croirait le plomb du vitrail qui enchâsse le verre. Peu de couleurs ont été utilisées par C215 : le noir qui cerne les formes, dessine les détails, fractionne les surfaces, le bleu outremer et un bleu turquoise très clair, presque un vert d'eau. Les pochoirs sont le plus souvent des compositions de groupes de personnes (à l'exception notable d'une voiture américaine) : une jeune fille et une enfant, un homme et une vieille femme qui joue d'un instrument à cordes, deux femmes âgées et un accordéoniste.

Les femmes le plus souvent mendient. Elles ont la tête couverte, souvent d'un foulard, parfois d'une toque en fourrure. Les pochoirs sont mis en valeur par un fond bien particulier : à l'ordre des lignes du dessin s'opposent des traits puissants peints à la brosse. Le graphisme des courbes du décor confèrent une dynamique que les personnages n'ont pas. Presque tous regardent celui qui regarde, sauf la petite fille qui cherche le regard de sa grande sœur. La palette très réduite correspond à un nombre réduit de bombes aérosols et de pochoirs (rappelons pour mémoire qu'il faut un pochoir par couleur). La segmentation des zones est un impératif technique des grands pochoirs pour éviter qu'ils ne se déchirent. Néanmoins, cette fragmentation des surfaces donne aux pochoirs de C215 leur originalité. De plus, la précision des découpes et l'abondance des détails participent de la spécificité des œuvres. De la même manière, le décor très tourmenté, ponctué par des projections de peinture en rupture avec le dessin des pochoirs, distingue l'artiste des autres pochoiristes (je pense en particulier à Nemo dont nous avons dans ce blog reproduit des pochoirs).

   


Très admiratif des techniques, la représentation des Tziganes, des Bohémiens, des Gitans "m'interpelle au niveau du vécu". Je vois bien la relation entre la caravane et les Tziganes... les gens du voyage etc. L'artiste – pour autant qu'il est possible en regardant ses œuvres de comprendre ses intentions – en peignant ses personnages a essayé de représenter un peuple qu'il respecte et admire. Ces hommes et ces femmes qui roulent en voitures américaines, qui font la manche, qui jouent d'instruments populaires sont des stéréotypes d'un autre temps. Ces hommes et ces femmes semblent tout droit sortis d'images d'Épinal sur les Romanichels. Gardons-nous d'aller trop loin dans l'extrapolation : C215 aime les Tziganes, et ses pochoirs sont un bel hommage qu'il leur rend. Restons-en à la beauté des portraits, à la rigueur des compositions, à l'harmonie des couleurs, à la virtuosité technique de l'un de nos meilleurs pochoiristes français.

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