dimanche 28 décembre 2014

Le Canal de l'Ourcq perçu par Richard

Je quitte, provisoirement, mon territoire de prédilection, le street art, pour une série de posts consacrés aux canaux de notre quartier, le canal de l'Ourcq, le canal Saint-Denis et le canal Saint-Martin.
Ces billets n'ont qu'une ambition : partager avec nos amis lecteurs ce que j'ai appris en 40 ans des canaux de Paris et plus particulièrement des canaux qui traversent notre quartier. Mon approche est une approche plus sentimentale que scientifique. Je suis né sur les bords du canal de l'Ourcq à Villeparisis, j'y ai pêché, je m'y suis baigné. Il a été le terrain d'aventure de ma tendre enfance. Je garde le souvenir de ces étés passés sur ses bords, assis sur une serviette après la baignade, à regarder les péniches passer entre deux haies majestueuses de peupliers.

Voilà deux semaines, en sortant d'une conférence donnée à la Cité des sciences et de l'industrie, conférence consacrée aux paysages, longeant le canal de l'Ourcq pour rentrer chez moi, j'ai regardé le paysage du canal et j'ai pris trois photographies. Nos lecteurs, bienveillants, trouveront peut-être ces photographies, là les qualificatifs peuvent varier, "intéressantes", "plastiquement réussies", "jolies", "belles"... etc. Nous pouvons nous interroger sur les fondements de ces appréciations laudatives. Somme toute, dans ces photos, qu'est-ce qui est beau ? La couleur ? La composition ? Le traitement de l'image ? Ce qui est représenté ? Certainement un peu de tout, cela dépend des goûts, c'est-à-dire des relations secrètes que nous avons avec l'image (évocation d'un souvenir profondément enfoui dans la mémoire, relation avec des formes que nous apprécions – le rapport dans l'image 1/3, 2/3, le nombre d'or, les relations qu'entretiennent les lignes etc., remémoration de paysages similaires affectivement connotés).

Le point commun de ces images est la présence du canal. Les quais, le pont de la Petite Ceinture, le pont levant de la rue de Crimée, tous ces éléments du paysage renvoient au canal. Dit autrement, le paysage du canal, aujourd'hui, est perçu comme un paysage accueillant parce qu'esthétiquement beau. Tellement accueillant que sur ces bords de nombreuses résidences ont été construites et sont actuellement en cours de construction qui ont des noms évoquant le canal. Inutile, je pense, de donner beaucoup d'exemples : Canal Square, mais aussi Le Doge et même la résidence que j'habite, l'Aquarius, rue de Thionville. Dans ma résidence, les 9 entrées sont semblables : les murs sont recouverts de marbre vert et le sol de marbre blanc. Sur toute la longueur d'un côté, un faux aquarium avec des coquillages au fond et des poissons exotiques peints sur des plaques de verre justifient et légitiment le nom de la résidence. Il est bien évident que les aquariums renvoient au canal de l'Ourcq. Ou plutôt, à un imaginaire du canal. Nous pourrions dire la même chose de la résidence du Doge. Le canal de l'Ourcq par association d'idées évoque l'eau, la mer, les poissons, une cité construite sur l'eau d'une lagune. Nous savons tous que les noms des résidences ne servent pas seulement à nommer les bâtiments, ce sont aussi des arguments de promotion. Les habitants de ces résidences, du moins nombre d'entre eux, ont choisi cet endroit pour y vivre car ils apprécient le paysage du canal. 

Le canal est aujourd'hui un attracteur comme le montre la photographie prise devant un guichet extérieur d'une banque à Pantin. Reste pour s'en convaincre définitivement à regarder les immeubles qui se construisent sur ses bords à Pantin. Là, sur l'ancien emplacement du canal, un quartier entier est en train de sortir de terre.

Bref, aujourd'hui, le paysage du canal de l'Ourcq est investi très positivement par nos contemporains. Il n'est pas inintéressant de regarder en arrière et de se demander quand cela a commencé. Je daterais cet intérêt fort du canal d'une cinquantaine d'années, guère plus. Quand je suis arrivé dans notre quartier, il y a 40 ans, ma résidence n'était pas terminée et Le Doge pas encore construit. Ces résidences ont été construites à la place de garages, d'entrepôts, d'ateliers qui s'étaient installés là à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle parce que le foncier était moins cher qu'ailleurs. Nous étions alors près des fortifications, du glacis qui était censé protéger Paris des attaques ennemies. Les "fortifs" des "apaches", des ferrailleurs, des cabanes de jardin. Un quartier pauvre donc dangereux. Le canal avait alors mauvaise réputation.

Des photographes comme Boubat, Doisneau [1-2-3], Brassaï [1], vont changer les représentations des quartiers populaires. Dans un même mouvement, le cinéma s'emparera de ces paysages comme la reconstitution en studio de la façade de l'hôtel du Nord et d'une porte d'écluse. Photographie "humaniste", cinéma "réaliste", peinture, poésie d'un Prévert, la première moitié du XXe siècle voit naître un changement de regard sur les quartiers populaires en général et sur notre quartier en particulier. Les paysages industriels, la brume, la pluie, les fumées d'usine, les jets de vapeur forment alors un décor qui attire.

Nous sommes, me semble-t-il, les héritiers de ce mouvement des idées. Les paysages ont une histoire et notre perception change avec le temps. "Avec le temps, va, tout s'en va", même notre représentation des paysages.

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