L'état actuel de la Rotonde de La Villette après les travaux de dégagement.
Au premier plan, un tronçon du métro aérien qui longe les boulevards extérieurs ; au-delà de la Rotonde, autour de laquelle on distingue l'ébauche du square établi sur l'emplacement des bâtiments annexes démolis, le bassin de La Villette.
Mine de rien, cela a dû prendre du temps pour que les métros se croisent pile devant la Rotonde ! |
La
vie va décidément trop vite.
Au
temps jadis - y a-t-il donc déjà si longtemps ? - la rotonde de la Villette, au
confluent de la rue de Flandre et de la rue d’Allemagne, considérait avec un
rien d’indolence, et sans doute aussi de dignité, le bassin d’eau qui lui
faisait face. C’est que c’était un beau bassin - au temps jadis !
On
y avait vu des jeux et des ris. On y avait vu des joutes. Des arbres « peignés
» l’encadraient. Aux jours de fête le menu peuple s’y précipitait : Paris a
toujours aimé l’eau placide, les coins ombreux, les perspectives un peu
lointaines, bref l’illusion de la campagne.
De
cette époque, qui va de la Restauration à la Troisième République, des gravures
nous ont conservé le souvenir. Mais où sont les lorettes de jadis ? Où sont les
grisettes accortes ? Coiffées « d’un rien et d’une chanson », eût dit Musset,
qui les aima... Où sont les graves amusements du dix-neuvième siècle ?
Aujourd'hui,
face au bassin de la Villette qui n’est plus qu’une pièce d’eau morne - et,
dans le mot pièce d’eau, veuillez n’introduire aucun lyrisme bucolique ! - une
pièce d’eau morne assiégée de docks, de pâtés de maisons, de débarcadères et de
hangars, d’usines et de cheminées vertigineuses, surmontée d’une passerelle de
fer en arc de cercle, que centre l’œil énorme d’une pendule, la rotonde n’est
plus qu’une « pièce » démodée, privée des deux bâtiments symétriques qui « de
tous temps l’avaient épaulée ». Ces deux bâtiments sont tombés.
«
Ils n’étaient pas de l’époque ! » ont décrété les augures. Voire. S’ils
n’étaient pas de l’époque initiale, qui remonte aux derniers beaux jours, si
l’on ose dire, du règne de Louis XVI, ils n’en avaient pas moins leur histoire.
Ils
ne sont plus. Considérons la rotonde.
En 1784, le Trésor étant vide, et point facile à remplir, Lavoisier, d’accord avec les fermiers généraux, imagina d’enfermer Paris dans une muraille circulaire. A intervalles calculés on y ouvrirait des barrières : les portes de l’octroi. Elles sont célèbres. Toute denrée qui passerait paierait.
Immédiatement, l’architecte Ledoux se mit en campagne et commença les travaux. Ils devaient être grandioses.
«
Le mur murant Paris rend Paris murmurant », raillait un alexandrin d’alors.
Il le rendit si bien murmurant que, le 12 juillet 1789, et bien que deux ans plus tôt Loménie de Brienne, parcimonieux, eût suspendu la construction, le peuple se ruait aux barrières et les incendiait en partie : c’était un discret prélude aux réjouissances du 14. Les barrières furent reconstruites. Elles provoquèrent de nouvelles émeutes. Finalement, le 28 floréal an II, vingt-huit fermiers généraux payaient de leur tête leur obstination. Quatrième de la série funèbre, Lavoisier fut décapité.
Ce
n’était d’ailleurs qu’une fausse manœuvre : l’Assemblée constituante, bientôt,
décidait la suppression de l’octroi. Il fallut, pour le rétablir, le
Directoire. Une fois encore les travaux reprirent.
Autour de Paris, et cette fois d’une façon définitive, une soixantaine de barrières s’élevèrent, dont celle de la Villette. Le 25 juin 1791 Louis XVI et la famille royale, le dauphin sur les genoux de Pétion, la contournaient, dans la légendaire diligence, avant de rentrer dans Paris.
Du
temps passa - et des événements : en 1814, vainqueurs, les Alliés défilaient
par là. En 1815, à nouveau. En 1830, on y faisait le coup de feu.
La
capitale s’élargit - et se fortifia. Des bastions nouveaux furent construits
sur les ruines des anciennes portes démolies : il fallait aller au plus pressé.
Aujourd'hui, de ces portes que reste-t-il ? La rotonde du parc Monceau - et
celle de la Villette... Triste rotonde de la Villette !
Les
bâtiments annexes jetés bas - ils servaient d’entrepôts pour les sucres ! - la
voici, solitaire et dénudée, qui médite sur les vicissitudes des temps.
Un
métro aérien la frôle de sa mince chenille noire : de là-haut on domine sa
terrasse et d’infâmes tuyaux de cheminée plantés de guingois parmi les pierres
historiques.
Un
square environnera la rotonde. Déjà des fleurs y sont plantées. J’ai noté sept
arbres dans le square. Au loin, sur des perspectives de grisaille,
Montmartre... - auprès, une gare d’autocars.
Dans
la terre fraîche, les moineaux, ces autres Gavroche, viennent quêter leur
nourriture. Que les moineaux n’abandonnent jamais Paris ! Il lui manquerait un
peu de sa grâce éternelle.
En
face, le bassin, froid, dur, avec des immobilités de péniches, masses noires et
jaunes : un paysage selon Verhaeren, mais, hélas ! Sans poésie.
L’eau,
toutefois, est restée verte, d’un vert profond, hypnotique, avec des chevelures
d’herbes aquatiques — si frêles ! si fines ! - et j’aime à penser que peut-être
sur cette eau, qui n’est plus qu’utilitaire après avoir été l’eau des joutes,
l’eau des parties fines et des soirées sentimentales, le visage de Mimi Pinson
s’est penché...
René
Davenay.
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