Richard, rue de l'Ourcq, le mercredi 4 février, 16 heures GMT.
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Chers lecteurs, nous vous avions décrit la sinistre besogne de Nite et de ses sbires qui n'avaient pas hésité à attaquer dAcRuZ sur deux fronts. La dernière offensive a été menée nuitamment et s'est centrée sur le perroquet de 12 mètres peint rue de l'Ourcq par notre héros. Seul contre tous, je le rappelle, il n'avait pas hésité à tracer les contours d'un gigantesque ara qui, pensions-nous à l'époque, devait faire pendant au perroquet de taille plus modeste peint à droite du portrait de Frida Kahlo par Marko. Les 25 mètres de trottoir semblaient prendre l'aspect d’une très grande fresque réalisée par deux artistes ; des œuvres de factures différentes (le style old school de dAcRuZ ne saurait se confondre avec le vitrograff et le calligraffitisme de Marko) mais thématiquement proches (en regardant l'œuvre on voit tracées les esquisses d'un ara, d'un singe, du portrait de Frida Kahlo, un perroquet et un fond bleu sans dessin). La composition était manifeste : un personnage iconique encadré d'animaux, dont deux perroquets, l’un peint par dAcRuZ, l'autre par Marko.
L'attaque sournoise de la bande rivale a épargné la fresque de Marko mais alors que celle de dAcRuZ était quasiment terminée, ils ont tué l’ara à coups de bombes aérosols.
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Fidèle aux combattants de Verdun et de la Somme qui dans les tranchées se sont battus pour reprendre le terrain perdu, dAcRuZ, le mercredi 4 février après-midi, sous une pluie fine, a reconquis les 12 mètres de la rue de l'Ourcq envahis par les belligérants.
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Cet œil sur l'aile est lui-même relié à l'inscription "LA RUE A DES YEUX". En écrivant, en gros caractères "DACRUZ OURCQ", dAcRuZ réaffirme sa légitimité à peindre sur cette portion du mur de la rue de l'Ourcq. Plus loin, vers l'avenue Jean-Jaurès, des fresques de piètre facture sont signées d'une "crew" à laquelle appartient Nite (qui, il y a quelques années écrivait son blaze avec deux i -Niite). La crew de Nite est donc bien connue de dAcRuZ qui a un discours ambigu sur le recouvrement des fresques par les street artists. Il dit que c'est la loi de la rue (et donc que lui-même suit cette loi, c'est-à-dire, qu'il recouvre d'autres fresques) et parce qu'il tague sur les murs revendique l'exclusivité des murs de son territoire. Son seul moyen de préserver ses œuvres, auxquelles il tient quoi qu'il dise "de la loi de la rue", est de brandir la menace d'une surveillance (et d'une intervention musclée) des copains de son ancien quartier.
Dans sa reconquête de ses 12 mètres de murs, dAcRuZ a changé son projet initial. La revendication de la possession des surfaces est passée au premier plan. Dans cette perspective, l’œil prend une valeur et une place toute particulière. dAcRuZ qui avait le temps (le temps de l'esquisse, début du cloisonnage des espaces et mise en couleurs après avoir fait les fonds), n'a plus le temps. Il doit finir dans l'après-midi. Reprendre l'œuvre en suivant la succession de ses phases de réalisation, c'est s'exposer à une nouvelle attaque de la crew adverse. L’ara devenu gros oiseau qui ne fait plus pendant au perroquet de Marko et rompt la symétrie de la composition aurait pu avoir un seul œil ; mais on surveille mieux avec deux, mieux encore avec trois. Le troisième œil est aussi noir que les deux autres, aussi menaçant. Pour ceux qui n'auraient pas compris, les mots explicitent la menace.
Faire vite, en gardant l'idée de départ, ce n'est pas simple. Alors, dAcRuZ, superpose ses graphismes aux anciens graphismes. Les couleurs qui ne sont pas des fonds brouillent la lisibilité de la peinture. Est-ce des plumes? Mais où est donc passé le superbe jeu de courbes qui s’entremêlaient et transfiguraient les plumes en tableau abstrait ? Un clin d’œil à Picasso, un graphisme d'une belle audace qui part des lignes des plumes pour composer un tableau dynamique, harmonieux, détaché des contraintes de la réalité, un peintre qui s'inspire des couleurs du réel et les oublie pour jouer des complémentaires, des contrastes.
La succession des fresques raconte une histoire : cette fresque aurait pu être une œuvre maîtresse de dAcRuZ, un chef-d'œuvre. Sous la pression, la cohérence thématique a été rompue, la palette s'est assombrie (comme l'humeur de l'artiste ?), les formes se sont simplifiées, le sens a changé.
Dommage, j'aurais aimé voir tous les jours le beau visage de Frida Kahlo entouré de fleurs et d'animaux tout droit sortis du paradis. Un paradis qu'elle n'a pas connu, elle qui a tant souffert.
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