mardi 7 octobre 2014

Des fœtus sur les trottoirs !

François, je [Richard] t'envoie des petits posts sur le street art sur des sujets qui, moi, m'intéressent. Histoire d'expliquer ce qu'on voit sur les murs, sur les trottoirs. La Ville est pleine de traces d'hommes. Comme le trappeur, il faut d'abord les suivre patiemment et essayer de donner des clés pour les comprendre. Somme toute, qu'est-ce qu'une réalité qui est vue mais pas comprise ? Je ne suis pas un "chercheur", je suis plutôt un fouineur, un badaud qui refuse de ne pas comprendre ce qu'il voit. Notre perception du monde dépend de notre compréhension de ce monde. La vérité de la réalité est déjà là, elle attend d'être déchiffrée.

Après deux mois de vacances, début septembre, je redécouvre mon quartier. En gros, rien n'a bougé pendant mon absence. Pourtant des nouvelles traces sont apparues sur les murs certes mais aussi sur les trottoirs.

Depuis plusieurs mois, j'avais bien vu que sur le trottoir de l'avenue Laumière, devant la bouche de métro, un bébé avait été dessiné. En l'observant mieux, je vis que ce n'était pas un bébé mais un fœtus, un fœtus qui souriait dans son placenta. Le dessin de grande taille, plus de deux mètres de hauteur, sur deux mètres de largeur, était dessiné à la peinture blanche sur l'asphalte. Il n'y resta pas longtemps. Les services de la Propreté de la Ville ne pouvant effacer le dessin ont recouvert le tracé blanc de peinture grise comme le goudron du trottoir.Résultat, on voit encore le fœtus mais dessiné en gris.

Un dimanche matin, comme tous les matins, je traverse le pont tournant qui enjambe la darse avant l'entrée dans le parc de La Villette. Sur la chaussée du pont, je retrouve mon fœtus peint en énorme. Les promeneurs marchent dessus et ne peuvent pas ne pas le voir.

Le jour suivant, balade sur le quai de la Seine. Toujours animé par cette après-midi ensoleillée. Sur la murette d'un contrefort de la passerelle de la Moselle... encore un petit fœtus! Je me retourne et sans vraiment distinguer le motif dessiné sur une pile de la passerelle, je vois comme un cercle blanc. Je prends mon appareil photo, je zoome et découvre que c'est encore le même fœtus.

Ainsi, les fœtus auraient profité de mes vacances pour envahir le quartier. Bizarre quand même, ces fœtus. Cela ressemble à du street art mais ces dessins sans légendes ne livrent pas explicitement leur signification.

J'accepte, pour un temps, de ne pas comprendre.


Une brève recherche sur internet me donne les clés de ces dessins. Ce sont les œuvres de Sébastien Lecca, un sculpteur et peintre français qui les dessine partout sur les murs, les corps, les tee-shirts. Il a commencé à les peindre à Paris avant de les peindre dans de nombreuses villes de province mais aussi à Londres et à Genève. Pour l'artiste "c'est une œuvre sans limite. Elle me permet de parler de tout ce qui me tient à cœur, les grandes questions universelles, la vie, la mort, l'amour, la sexualité, le rapport à l'animal...". Son projet qu'il nomme Super fœtus n'a pas fait l'unanimité. Le contexte social et politique a biaisé la compréhension du projet. Loin d'y voir un hymne à la vie et à l'amour qui devait d'après Lecca "réveiller les consciences", un collectif féministe dénonce un refus du droit à l'avortement.

   


La simple chronologie suffirait à démontrer que cette interprétation est fausse. Lecca a commencé la mise en œuvre de son projet en 2010, dans le 18e arrondissement, sans soulever de polémique. La tension qui existe sur les questions sociétales gauchit la lecture du projet et fausse le sens. L'œuvre qui n'est pas comprise devient un signe "vide" que d'aucuns remplissent de leurs angoisses.

Lecca cherchait la beauté du petit d'homme, pas encore sexué, comme les anges, qui flotte dans sa bulle. Il a trouvé non le débat d'idées, ce qui est le but ultime de l'art, mais la polémique stérile. Un mauvais procès pour un beau questionnement.

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