Ces deux
quartiers voisins avaient des vocations différentes. La Chapelle, organisée
autour du chemin de fer, était un quartier d’usines, noir et pauvre. La
Villette au contraire, construite sur l’eau autour du canal de l’Ourcq et du
canal Saint-Denis, était un quartier d’entrepôts plutôt prospère. La commune
avait été particulièrement hostile à l’annexion, ce qui se conçoit : "Grâce à
son bassin, à la proximité de deux gares et à l’embarcadère du chemin de fer de
ceinture, La Villette est un grand entrepôt de vin, d’eau-de-vie, de bois de
charronnage et de construction, de charbon de bois, de houille, de grains et
farine, d’huile, de verres, de fonte, etc. Le port reçoit annuellement dix
mille navires, dont le chargement total est d’environ 1100 000 tonnes, ce qui
donne à La Villette un rang supérieur à celui de Bordeaux*."
*Émile de La Bédollière, Le Nouveau Paris, Histoire de ses vingt arrondissements, Paris, Barba, 1860
[...]
À La Villette, il n’y a rien de bon à attendre des
grands axes centrifuges, les avenues de Flandre et Jean-Jaurès. C'est dans les
transversales que se lit en pointillé la beauté passée : au bout de la rue
Curial, dans des passages où se serrent des garages, des hôtels d’un étage et
des ateliers à toits de tôle abritant des activités indéfinissables ; dans les
échoppes quasi africaines de la rue de l’Ourcq sous les arcades du chemin de
fer de ceinture. Le cœur du quartier, le bassin de la Villette, est bien
aménagé par la mise en valeur de ce qui a été dessiné et construit à la grande
époque du port : les roues du pont levant de la rue de Crimée si souvent
photographiées par Atget, Brassai et Doisneau, les entrepôts, l’église Saint-
Jacques-Saint-Christophe qui serait laide partout ailleurs mais qui sonne tout
à fait juste ici, entre le square, la caserne de pompiers et le marché au bord
de l’eau. Plus loin, le bassin s’élargit et se divise en deux branches de
tonalités différentes. Le canal de l’Ourcq, qui séparait jusque dans les années
1970 le marché aux bestiaux et les abattoirs, irrigue aujourd'hui le parc de La
Villette où footballeurs, touristes, cinéphiles et mamans, voilées ou non,
vivent harmonieusement des dimanches au bord de l’eau. Le canal Saint-Denis,
lui, s’éloigne modestement vers les friches industrielles du nord, dissimulé
sous l’avenue Corentin-Cariou, le boulevard Macdonald et le périphérique,
prolétaire et un peu sale comme les "petits enfants d’Aubervilliers" dans la
chanson de Prévert et Kosma.
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