lundi 3 novembre 2014

Richard voit rouge, vraiment rouge !

Vendredi 24 octobre, raid de dAcRuZ sur la rue de la Meurthe.
dAcRuZ a peint une nouvelle fois le transformateur qui fait l'angle avec la rue de Thionville, peint un autre gros transfo installé rue de la Meurthe pour les travaux de construction de l'immeuble qui occupera la parcelle qui fait l'angle avec le quai de la Marne [Lot 10A], écrit sur la murette du Doge "Bienvenue à Boboland", écrit sur la porte métallique du futur chantier "I love my ghetto", sur un transfo provisoire "gentrification" et "témoin d'un changement de cadre", sur un montant métallique "Art populaire" sur un poteau "Kolors", ainsi que sur l'appui de fenêtre de Mama Kin...
Bref, c'est la guerre.

Le déclenchement des hostilités avait été précédé d'un rageur "Art populaire en sursis" à gauche de la fresque qu'il vient de terminer rue de Thionville. La veille, le blog publiait un post sur le procès de M. Chat (ubuesque procès qui dura 5 minutes, le temps pour l'avocate de M. Chat de rappeler aux juges du pénal que les dispositions pénales avancées par la RATP pour fonder sa plainte avaient été abrogées). Les questions que je posais contenaient les réponses : l'art pour s'épanouir a besoin de liberté, le street art de tolérance. Le sujet était le vandalisme et ma position était que cette disposition pénale ne s'appliquait pas au chat peint sur les murs en réfection de la station Châtelet. Le lendemain matin, je constate l'étendue des dégâts, presque sur mon paillasson, au coin de ma rue.

Ce que j'ai vu, ce que je vous montre a à voir avec le vandalisme. Il est évident que dAcRuZ n'avait pas l'intention de "décorer" les transformateurs EDF, ni le beau mur en meulière de l'immeuble du Mama Kin, ni le portail du chantier. Son attaque à la bombe n'est pas du street art (dans street art, il y a art !). "Le message c'est le médium" (McLuhan) ; il exprime sa colère en détruisant. Mon commentaire n'est donc pas une exégèse sur les formes voire pire une critique d'art (urbain) mais un essai de compréhension de la colère de dAcRuZ dont nous apprécions la gentillesse et le talent.



Rappelons d'abord à notre ami dAcRuZ que l'Art populaire ne se réduit pas au street art. Nous préférons le pluriel, les Arts populaires. Parmi ceux-ci, la danse, la musique etc. Personne n'osera dire que ces arts sont en sursis, ni dans notre quartier ni ailleurs. Quant au street art, il est présent dans toutes les grandes villes des États "démocratiques" (pas de street art dans les dictatures genre Corée du Nord ou les régimes autoritaires d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Afrique etc.). Le street art est un phénomène mondial : les artistes, grâce à Internet, voient les productions des autres artistes. Les images voyagent comme elles n'ont jamais voyagé depuis la nuit des temps. Eux-mêmes, voyagent, collaborent à des œuvres collectives, à des festivals, à des initiatives émanant d'associations (comme Ourcq Living Colors, justement !). Le street art à la convergence d'autres arts de l'image marque de son empreinte d'autres formes d'expression (la peinture de chevalet, la sculpture, la publicité, le design industriel etc.). Pour faire court, jamais un art n'a été aussi populaire dans le monde.

Ce que ne dit pas dAcRuZ, c'est "art populaire en sursis... dans mon quartier". Voilà l'affaire : après le Requiem pour un quartier, nous sommes dans les affres de la gentrification. Si dAcRuZ veut dire en massacrant les transfos et quelques mètres carrés de mur, qu'il regrette le quartier de son enfance, nous comprenons parce que nombreux sont ceux qui regrettent le quartier de leur enfance. Nostalgie d'une période d'une quinzaine d'années pendant lesquelles dAcRuZ et ses potes ont peint les murs lépreux de leur quartier et commencé à exister en tant qu'artistes.
Dit autrement, grâce à dAcRuZ, Marko et d'autres, le quartier a été pendant environ 15 ans un spot connu du street art parisien. Il faudra qu'un de ses potes explique à dAcRuZ que les spots comme les œuvres sont éphémères et que c'est ce caractère provisoire qui donne du prix aux œuvres. Tous les street artists l'ont compris ; tous après avoir signé leurs œuvres les photographient, seule possibilité de garder une trace de leur existence. D'autres spots sont morts, les palissages du chantier du trou des halles. Bientôt, la rue Dénoyez à Belleville va mourir (du point de vue de l'art, elle est déjà morte depuis longtemps !)

Quant à la gentrification... Les artistes ont des choses à dire sur l'Art. Ont-ils des choses intéressantes à dire sur tout ? J'ai déjà expliqué à dAcRuZ que la mixité sociale profitait à tout le monde aux pauvres, aux démunis, aux moins démunis. Que les ghettos sont des prisons et que la tâche de ceux à qui nous avons confié notre souveraineté est de casser tous les ghettos, d'éviter qu'ils se forment. C'est même une des conditions de se sentir appartenir à un même peuple, à une même nation, à une même communauté de destin.

Devant la radicalisation du discours de dAcRuZ (nous allons vivre à Boboland !), la violence qui s'est exprimée la semaine dernière par ses graffitis, je suis contraint et forcé de dire que cela s'apparente à du vandalisme. Certes, il n'y a pas mort d'homme, rien n'est cassé. Un coup de peinture et de karcher et les traces de sa colère auront disparues. Mais, quelque part, je pense qu'il pense que les futurs habitants du quartier sont ses "ennemis", qu'ils sont responsables de la fin de sa prime jeunesse et d'une très riche et intéressante période de sa vie.

dAcRuZ se trompe d'adversaires et de combat. Comme toutes les fins, les fins d'histoire d'amour sont douloureuses ; il est toujours difficile de fermer un livre, de tourner une page de sa vie.

Le street art existera ailleurs, dans notre ville, et dAcRuZ peindra encore d'autres murs en déshérence. Et nous lui témoignerons notre reconnaissance pour ce qu'il a fait et reconnaîtrons son Inca sur les murs lépreux des villes du monde.

3 commentaires:

  1. Plus que de la colère dAcRuZ a exprimé de la souffrance.
    Laissons-lui le temps de prendre du recul, de la transcender ici ou ailleurs.
    Acceptons qu'il avait ses raisons à ce moment là de s'exprimer ainsi.
    Souvenons-nous aussi de son message One nation, one love.

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  2. Merci bobolady pour votre commentaire empreint de tolérance et rappelant une belle œuvre de dAcRuZ ; mais ayons aussi à l'esprit que cet artiste aime provoquer pour susciter des réactions... comme celle de Richard.

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  3. Richard a exprimé une colère retenue, avec distanciation, sur un ton quelque peu professoral.
    Richard a réagit en Richard, tel qu'on l'attendait face à dAcRuz qui lui n'a pas agit en artiste mais plus en être humain.
    Pour Richard je ne critique pas les profs, ils sont nombreux dans ma famille, et parmi mes amis.
    En tant qu'enfant rapatrié, ayant vécu à travers mes parents l'arrachement au pays de naissance je peux comprendre que la transformation du quartier puisse être vécu douloureusement.

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