jeudi 29 octobre 2015

Levalet, rue de Crimée

Dans nos colonnes, nous vous avions déjà présenté deux œuvres de Levalet. Le premier collage était (et reste) situé sur un mur de la Petite Ceinture, rue de Thionville. Le second collage était placé sur une pile du pont, quai de l'Oise. À cette occasion, nous vous avions dit tout le bien que nous pensions de cet artiste qui, dans le street art parisien, a une place particulière. En effet, il se distingue des autres artistes par ses sujets et sa technique. Dans de nombreuses interviews, il fournit des informations qui permettent de mieux comprendre sa démarche artistique. Dans un premier temps, dans une phase de repérage, il identifie des endroits qui modifiés par ses collages pourraient proposer des scènes poétiques / drôles / surprenantes, changeant radicalement notre regard sur le lieu. Dans un deuxième temps, à l'atelier, il dessine et peint à l'encre de Chine de grandes feuilles de papier, genre affiches. Il revendique l'emploi du noir et blanc (fond blanc, encre noire) pour démarquer son œuvre de la réalité. La transposition des couleurs du réel en blanc et en de nombreuses nuances de gris, allant jusqu'au noir le plus dense, introduit un écart, une césure radicale, une démarcation nette entre ce qui est représenté et les sujets. Dans un troisième moment, il colle ses œuvres dans les endroits précédemment repérés.

Fin septembre 2015, ayant obtenu l'autorisation des responsables de la permanence des Républicains, rue de Crimée, il a recouvert le rideau de fer de 5 grands collages. Les 5 éléments du rideau de fer sont utilisés pour représenter des hommes endormis. Cette scène évoque les bat-flancs des camps de prisonniers dans notre imaginaire collectif. Ces images douloureuses sont vite chassées par la superposition des 5 personnages.

Les 5 hommes dorment et se cachent complètement ou partiellement le visage d'un couvre-chef pour se protéger du soleil. Les couvre-chefs et les vêtements donnent des indications sur l'identité des personnages. Celui qui est au sommet porte une couronne. C'est donc un roi : un roi un peu singulier qui porterait sa couronne pour se protéger des rayons du soleil. Les mains ne sont pas traditionnellement croisées sur le torse comme elles le sont pour les statues de gisants. Pourtant, c'est un roi, avec sa couronne et sa cape. Au-dessous de lui, un homme que l'on dirait directement issu d'un film des années 50 : il porte un costume, peut-être une cravate et un chapeau mou. Un "pékin" bienheureux qui sommeille. Sous lui, un employé de la Poste peut-être, voire un contrôleur de la SNCF. Certainement, un fonctionnaire d'État. Donc, un homme de modeste condition. Au-dessous, un drôle de pompier portant des baskets. En fin, un paysan, un homme de la campagne, portant marcel et culotte et une basket (l'autre pied est nu). Les 5 hommes ont à peu de chose près la même position des bras. Par contre, la position des jambes varie comme celle de la tête.

    



Cinq hommes semblant dormir profondément. Cinq personnages ayant de nombreux points communs mais des différences. La scène donne une impression de quiétude, de bien-être, d'un moment de bonheur. Pourtant, les différences pourraient avoir une signification plus politique. Cinq hommes presque semblables mais les uns sont au-dessus des autres et tous évoquent les années cinquante (à l'exception du roi, qui est un personnage de fantaisie.)

             


Il serait évidemment hasardeux de risquer une interprétation. J'en propose une quelque peu iconoclaste. Cette scène surréaliste est peinte sur la devanture de la permanence du parti politique des Républicains. Levalet ne s'est-il pas amusé à représenter sur la façade d'un parti de droite, les inégalités sociales de notre pays ?
Bien sûr, la superposition des 5 panneaux du rideau de fer a inspiré l'image des bat-flancs, mais les vêtements, les chaussures, les coiffures toutes différentes ne peuvent pas ne pas avoir un sens. Dans cette hypothèse, pour que la lecture se fasse au second degré, il a situé sa scène dans les années 50, du moins dans une atmosphère semblable car les baskets modernes échappent au réalisme. Richard

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