vendredi 30 octobre 2015

Levalet, place de Bitche

Moins d'une semaine après avoir décoré diront certains, vandalisé diront les autres, le rideau de fer de la permanence des Républicains, rue de Crimée, Levalet a récidivé place de Bitche. Situons le contexte qui est déterminant pour décrire les deux collages de Levalet. La place de Bitche, place d'un des plus beaux marchés de l'arrondissement, un édicule. Drôle de nom pour une petite construction bâtie au début du XXe siècle, dans les années trente, pour entreposer les matériels des agents municipaux qui installent et nettoient le marché. Cet édicule donc avait des ouvertures qui par crainte des malfaisants ont été obstruées. L'édicule est situé devant une école élémentaire et un collège, le collège Mozart. Dans la rue Jomard, en face du collège, une école maternelle. On aura compris que cette rue est particulière et aurait pu s'appeler "rue des Écoles".




Sur un côté de l'édifice, dans le renfoncement laissé par une ancienne fenêtre, Levalet a collé une affiche. Il garde l'idée de la fenêtre, peint des barreaux et une scène à la Doisneau. Un écolier en sarrau est assis devant un chevalet ; dans sa main droite il tient une palette n'ayant que trois couleurs, le jaune, le bleu et le rouge, et avec un pinceau au long manche tenu fort malhabilement, peint un rond jaune. Le visage de l'enfant exprime une profonde concentration sur son œuvre. La scène nous renvoie à l'iconographie de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe. C'est la leçon de dessin.



Notons que l'ensemble de l'œuvre est peint avec de l'encre de Chine noire, à l'exception des trois couleurs de la palette et du cercle. L'emploi de la couleur chez Levalet est rare. A vrai dire, c'est la première fois que je vois un emploi de la couleur dans un de ses très nombreux collages. Dans des entretiens, Levalet justifie son refus de la couleur au profit des gris et des noirs de l'encre de Chine. Ses arguments sont parents de ceux utilisés par les photographes qui aujourd'hui choisissent le noir et blanc (voire pour certains l'utilisation des pellicules "classiques"). Il est vrai que sans le recours à la couleur il eût été impossible de traduire le fait que l'écolier ne disposait que de trois couleurs. La "communale", même à Paris, n'est pas riche et les enfants ont une palette bien modeste. Le recours au chevalet correspond à une réalité historique. Les professeurs de dessin (aujourd'hui on dit arts plastiques) de la Ville de Paris dont la création a plus d'un siècle disposaient des matériels des ateliers d'artistes.



Sur le côté donnant sur la rue Jomard, une autre affiche de plus grand format a été collée. Elle représente le comptoir d'une galerie d'art brut. Le marchand, à l'air bien peu engageant, appuyé sur un coude sur son comptoir tient sous sa main gauche un livre consacré à cet art. Au "mur" de la galerie, des œuvres d'art brut sont exposées pour être vendues. Les sujets de ces œuvres sont des grands classiques du dessin d'enfant : le soleil, ma famille, l'auto de papa, des monstres, un bateau à voile, une maison, un gribouillis. Les couleurs sont peu nombreuses : vert, rouge, bleu jaune. C'est à peu de chose près la palette de l'écolier qui peint. On aurait mal compris alors que la peinture de l'enfant est jaune que les œuvres ne soient pas en couleurs. la scène évoque une époque révolue.


Ces deux scènes peintes par Levalet sont à la fois attendrissantes pour les hommes et les femmes de ma génération et bien sûr, drôles. Attendrissant le môme qui tient avec sa petite main un pinceau trop long et peint un simple rond, presque rond et d'une seule couleur, son visage montrant à la fois son attention et sa satisfaction. Drôle également, ce marchand à l'air si terrible, à la connaissance exhaustive de l'art brut qui vend, en face de l'école, des dessins d'enfants de bien piètre facture. Drôle aussi l'anachronisme du recours à l'anglais.


Les deux affiches de Levalet sont un diptyque qui évoque avec humour et poésie l'école des temps anciens et égratigne avec légèreté la spéculation des marchands d'art. Un clin d’œil à l'école d'en face, un petit coup de patte sur le museau de ceux qui font commerce des œuvres d'art. Richard

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