mercredi 6 mai 2015

Galerie à ciel ouvert




Je [Richard] vous propose un petit post, abondamment illustré (mais comment parler de street art sans montrer des images !), qui décrit une initiative certes modeste mais intéressante de plusieurs points de vue : le premier est social, confier des responsabilités à des jeunes adolescents du quartier de l'avenue de Flandre ; le second, offrir aux street artists qui travaillent dans notre quartier des supports institutionnels pour peindre.

©Choq


C'est une belle histoire. L'histoire d'une rue qui relie la rue de Flandre à la rue de Tanger. Elle est tellement petite qu'elle n'a pas de nom*. C'est une "rue de service" qui dessert les entrées de vastes ensembles d'HLM. Sur le côté droit de cette rue sans nom, quand on va vers la rue de Tanger, 4 panneaux, plus loin 4 panneaux carrelés en céramique à l'entrée d'un immeuble appartenant à Paris Habitat, à la sortie, un petit panneau qui devait servir dans d'autres temps à d'autres usages. Petite rue, quartier que d'aucuns qualifient de "difficile". Sous l'impulsion d'animateurs de quartier, cette rue a été rebaptisée la galerie à ciel ouvert. "Galerie" est certes impropre mais les panneaux qui étaient constamment tagués sont dédiés à des street artists du quartier. Paris Habitat prête ses murs, les animateurs et les ados gèrent le lieu, invitent les artistes, organisent des manifestations inaugurées par Monsieur le maire du 19e et ses adjoints.


©P.Boy

Les artistes sont parfois connus (je pense à Marko 93), d'autres en passe de l'être. Tous les styles s'y côtoient : on y retrouve les influences du tag et certaines fresques sont, en fait, des compositions intégrant le tag, le blaze de l'artiste, comme un élément récurrent de la représentation. L'écriture des lettres, ou plutôt la peinture avec une bombe aérosol des lettres du nom d'artiste, y joue un rôle majeur. Combiné à la répétition et à la variation, les œuvres innovent un genre mixte, une fresque composée de tags. D'autres fresques sont plus "classiques" : portraits et délires graphiques mêlant des personnages échappés de la bande dessinée à des situations qui pour les ados font sens. Une immense fresque onirique au dessin marqué par l'influence de la bande dessinée, sur deux panneaux, étonne. Le contraste entre la nature luxuriante, édénique, et les HLM devant, derrière, partout, questionne le curieux : c'est parce que les artistes vivent dans le béton qu'ils rêvent de jungles, d'explorations dangereuses dans de lointaines contrées ? Un rêve inversé de la ville, un contrepoint riche de couleurs et de formes bizarres (c'est étonnant, cet art appelé "art urbain" qui représente les forêts du Douanier Rousseau).

             


             


©Kongo – ©Le h©Acre

Marko, le grand frère, celui qui a réussi grâce à son talent est ici en terre conquise. Les ados saisissent immédiatement les allusions à leur culture, le Dark Vador de La Guerre des étoiles appartient à cette nouvelle mythologie, comme les sabres-lasers. Quand Marko dans un cartouche lui fait dire : Je suis ton frère, certains ados détruisent ce qu'ils ont tant aimé. Va pour le guerrier des ténèbres aux pouvoirs magiques. Mais quand il prône l'amour de l'autre et la fraternité, c'est autre chose qui se joue et on lui arrache le visage. Décidément, le Je suis Charlie est passé de mode. Certains ados s’identifient à d'autres héros, du moins à ce qu'ils en voient sur Internet.


©Pearl

Marko a voulu soutenir la manifestation en collant deux affiches et en dessinant un sabre à la bombe. Comme le dit le bon sens populaire, c'est l'intention qui compte. La fresque déjà faite maintes fois, refaite devant un public, en live, a l’extrême mérite d'avoir été faite pour les ados du quartier, et gratos. C'est un acte citoyen qu'il faut saluer. Par ailleurs, la présence de Marko donne une certaine importance à l'événement.

Bref, un bailleur social, comme on dit, qui prête ses murs pour les street artists du quartier, des éducateurs qui avec les ados des associations entretiennent les fresques et les nettoient, une municipalité sensible à cet art rejeté dans les limites imprécises du vandalisme, autant de marqueurs de changements sociétaux et esthétiques.
* Finalement, elle a un nom, c'est la rue Suzanne-Masson

©Marko

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