mercredi 22 juillet 2015

"Dante", la fresque de Nosbé rue Henri-Noguère

Rien n'est plus agréable dans mon "travail" de chroniqueur que de vous faire découvrir, chers lecteurs, de nouveaux talents du street art. Pour découvrir les œuvres, il n'y a que deux solutions : aller les chercher (dans les spots parisiens, les expositions, les galeries) ou attendre qu'elles arrivent dans votre quartier (si votre quartier est un spot actif de street art). Sans chercher, j'ai découvert un beau matin de juin, rue Henri-Noguères, une fresque qui m'a fortement impressionnée.


La fresque semble titrée Dante et son thème comme sa forme sont très originales. Il est exceptionnel qu'une fresque de street art illustre un poème épique et allégorique composé entre 1307 et 1321 par Dante Alighieri. Certes, cette œuvre rédigée en vers est tenue comme un des sommets de la littérature mondiale et le thème de l'enfer a été traité par de nombreux artistes français et étrangers. Je me souviens de mon émotion quand j'ai vu les sculptures de Rodin exposées dans le musée éponyme. La peinture du Moyen Âge et de la Renaissance n'est pas avare de représentations de l'enfer, histoire de décourager les pauvres pêcheurs et les ramener dans le droit chemin, qui est bien sûr, celui de "notre sainte mère l'Église", quitte à payer son salut de quelques indulgences ! Bref, l'enfer est un sujet "classique" traité par les arts depuis l'antiquité (souvenons-nous, des Champs-Elysées et du Styx, de Charon etc.), constamment repris un peu partout, en France, en Italie, aux Pays-Bas pour ne citer que ces trois pays. Mais, le traitement de l'enfer dans le street art est, me semble-t-il (mes connaissances sont partielles et pas universelles !) extra-ordinaire.

Jungle (œuvre sur toile) ©Nosbé
Je me suis dans un premier temps intéressé à l'artiste (je suis de ceux qui pensent que sa connaissance peut aider à saisir la signification de l'œuvre). Dans une interview à un blog, Fat Cap, l'artiste Nosbé, répondant à des questions, nous apportent des précieuses informations :
Qui es-tu Nosbé, d’où vient ton blaze et depuis quand dessines-tu ?
Originaire de la banlieue sud, j’ai la trentaine passée et porte ce surnom depuis qu’il m’a été donné par un pote au lycée. Je fais des remplacements dans des collèges et lycées d’Île-de-France en tant que prof d’arts plastiques, ce qui me permet de gagner ma croute (mouais) tout en gardant un pied dans le domaine créatif. Je dessine depuis tout gamin. Mon séjour de plusieurs années à Tahiti m’a fait découvrir les arts océaniens et les tattoos représentant des divinités sous la forme de visages très stylisés.


Au début je les ai beaucoup copiés, puis peu à peu personnalisés jusqu'à trouver le style actuel. En 1992, de retour en France, je découvre l’univers du graffiti en voyant des graffs le long des voies ferrées du RER. Ces lettres et ces couleurs, dans un contexte pour moi inhabituel, me plaisent et m’encouragent à faire mon premier graff sur le portail d'un pote…une feuille d’un végétal très connu dont je tairai le nom (!). L’instrument « bombe » sur le coup m’a assez surpris et pas tellement plu. S’ensuit alors une longue période de 10 ans où je dessine beaucoup mais sans vraiment toucher un cap, malgré quelques tentatives peu fructueuses bien qu’encourageantes. Pendant tout ce temps je reste très attentif aux productions de tags, graffs et autres interventions urbaines.
Merci à Fat Cap pour cet emprunt et pour la reproduction de deux photographies illustrant le parcours de Nosbé.


L'œuvre se présente comme un ensemble cohérent et fermé. Le fond orangé délimite l'œuvre dans l'espace et mets en valeur les couleurs sombres de la fresque, des noirs, des gris. En excluant le fond, l'œuvre par le style s'apparente à une gravure monochrome ou un dessin. Le "refus" de la couleur pour signifier l'enfer est déjà un choix. Dans d'autres fresques, Nosbé montre qu'il est un formidable coloriste. Sa palette est plutôt constituée de teintes et de couleurs très vives qui éclaboussent l'espace. Noir, c'est noir, il n'y a plus d'espoir disait le poète (Johnny Halliday) ; pour Nosbé les couleurs n'appartiennent pas au monde du dessous (cf : La Divine Comédie).


La cohérence de la palette étonne, comme étonnent toutes ces formes enchevêtrées. Toutes les formes sont reliées les unes aux autres dans une grande confusion. Le spectateur reconnaît là un visage, à vrai dire, bien singulier. Des yeux, l'un plus ouvert que l'autre, que nous devons par la pensée relier. On voit des fleurs (Les Fleurs du mal ?), des membres, des morceaux de cerveau, des vésicules, des "boyaux".


Cet amas semble inorganisé... à moins que ce soit le désordre qui représente l'enfer en s'opposant aux sages allées du Jardin d'Eden. Désordre et horreur, ordre et beauté ? La signature de l'artiste appartient au monde graphique de l'œuvre ; elle lui emprunte ses formes et ses couleurs. Ces organes qui coulent, des bouts de corps se mêlant à des formes issues du monde végétal évoquent plus qu'elles ne décrivent. C'est un cauchemar éveillé ; ces formes qu'on ne peut nommer effraient, justement parce qu'on ne peut les nommer et complètement les décrire.


Je reste étonné devant la force de cette fresque qui donne à voir un cauchemar vivant qui grouille, suinte, dégouline. Une vision personnelle et hors des codes communs de la représentation de l'enfer.
Richard

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