vendredi 23 janvier 2015

M. Papoul, "l'homme qui sait tout sur le canal de l'Ourcq"

Bizarre, alors que je [Richard] ne crois pas au destin, je crois au hasard. Seul le hasard m'a permis de rencontrer "l'homme qui sait tout sur le canal de l'Ourcq". Je vais vous raconter ma rencontre et mes récentes découvertes.

Il y a plusieurs mois, nous avons publié un post sur la cristallerie Schweitzer. Au hasard d'une promenade, j'avais découvert un atelier de cristallerie encore "dans son jus". Des tours disposés face au canal, quai de Jemmapes, pour profiter de la lumière, des engrenages, des poulies, des courroies. Seule la force motrice de la roue à aubes du XIXe siècle a été remplacée par un petit moteur électrique. Je croyais avoir compris le principe : une roue à aubes dans le canal fait tourner un axe qui, par un système d'engrenages, génère une énergie motrice. Le simple constat que le faible courant du canal ne peut pas entraîner une roue à aubes m'a amené à essayer de comprendre la relation entre le canal et la cristallerie.

Ateliers d'entretien du canal à Pantin
N'écoutant que mon courage, hardi reporter, je suis allé frapper à la porte de la Direction de la Voirie et des déplacements, service des canaux, dont une partie des bureaux est installée quai de la Loire. Gentiment reçu, j'explique l'énigme, les dames ne savent pas quelle est la solution de ce nouveau mystère de Paris mais, hasard, connaissent "l'homme qui sait tout sur le canal de l'Ourcq". Une dame avenante me note le nom et le téléphone sur un petit bout de papier.

Aussitôt, je téléphone à M. Jean Papoul. Il m'explique qu'il travaille au service des canaux depuis plus de 40 ans et que c'est lui qui a constitué le fonds d'archives du canal qu'il a disposé aux Archives de la Ville de Paris et que, de facto, il est chargé des relations avec le public. Bingo, il accepte de me recevoir dans les bureaux du 60-62 quai de la Marne. Adorable, érudit, disponible, pendant deux heures il répond à toutes mes questions. J'apprends plein de choses sur un canal que je croyais connaître depuis l'enfance : il connaît son histoire, il travaille avec les éclusiers et les services des travaux de la Ville... Bref, il connaît tout le monde et sait tout. Et en plus, passionné par son sujet, il sait faire vivre par des anecdotes sa connaissance quasi exhaustive du canal de l'Ourcq.

Bassin de Pantin
En vrac, il m'apprend que la Ville de Paris est propriétaire et entretient un réseau fluvial de 130 km de voies navigables. Pour ce qui nous concerne, le canal de l'Ourcq qui s'écoule sur 97 km de Mareuil-sur-Ourcq dans l'Oise à Paris, le canal Saint-Martin qui s'étire sur 4,5 km entièrement situé dans Paris, le canal Saint-Denis qui coule sur 6,6 km, de Paris à Saint-Denis. Ajoutons la rivière Ourcq en amont de Mareuil-sur-Ourcq, les affluents (la Collinance, la Gergogne, la Thérouanne, la Beuvronne).
Il résout mon énigme sur la cristallerie : située en aval d'une écluse du canal Saint-Martin, une conduite forcée prise depuis le niveau haut de l'écluse (en amont, vous suivez ?) entraîne dans le sous-sol de l'atelier une roue à aubes ou une turbine. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des ateliers, des usines, sont venus s'installer sur les bords du canal pour tirer parti de la force motrice de l'eau.

J'apprends également qu'il y a 10 écluses sur les canaux de l'Ourcq, Saint-Martin et Saint-Denis, 3 ponts levants, 2 usines élévatoires... Montrant mon intérêt pour les écluses, M. Papoul, m'invite à faire une croisière sur le canal et à découvrir l'écluse du pont de Flandre. Je dis mon intérêt, en fait c'est une façon de me ménager : dit plus clairement, je n'ai jamais bien compris le fonctionnement des écluses.

La demi-flûte Ariane
Un lundi de novembre bien parisien, sombre, froid et pluvieux, je me rends en métro dans les ateliers d'entretien du canal, avenue Jean-Lolive à Pantin. On rentre du côté rue et en face nous nous trouvons sur les bords du canal, plus précisément sur les bords du bassin de Pantin. Ce bassin est plus large que celui de la Villette, les péniches y déchargent du sable, du gravier, enfin tout ce qui est nécessaire pour faire du béton. C'est le seul trafic ; les péniches ne vont pas plus loin. L'activité ne cesse de décliner : une quinzaine de péniches par semaine. Paris veut conserver ce transport qui pérennise la batellerie sur le canal.

Nous embarquons sur une flûte. Plus précisément une demi-flûte. Rien à voir avec le champagne. Les flûtes étaient les péniches qui naviguaient sur le canal. Elles étaient fabriquées dans des ateliers qui bordaient le canal Saint-Denis. Le canal étant étroit, ne pouvant manœuvrer pour rebrousser chemin, elles avaient deux proues. Comme notre bateau l'Ariane, aménagé pour transporter 30 personnes. Vous me direz : pourquoi faire un canal aussi étroit qu'il ait fallu construire des péniches sur mesure, et qui pouvaient se croiser ? Pour comprendre, il faut se dire que le canal de l'Ourcq, c'est comme un aqueduc à ciel ouvert. Il a été creusé pour approvisionner la capitale en eau. Aujourd'hui encore, au niveau de Jaurès, une prise d'eau alimente un réseau d'eau non potable qui sert au nettoiement (bah oui, il y a deux réseaux à Paris, un d'eau potable et un d'eau non potable).
Au début XIXe siècle, la fonction était l'alimentation en eau potable, stockée dans le bassin de La Villette (qui existait avant la construction du canal). Voilà pourquoi les eaux usées et les effluents industriels ne se sont jamais déversés dans le canal. Depuis sa construction l'eau est quasiment la même : ce sont les normes européennes de potabilité qui ont changé. Maintenant, je ne vous invite pas à la boire ! Habitués à l'hygiène, nous sommes moins résistants aux bactéries et petites choses qui prolifèrent dans l'eau verte. D'ailleurs, les poissons se portent bien. Merci. Ils sont même si abondants que la Ville les pêche et qu'ils font les délices d'une vraie colonie de cormorans dont le nombre chaque hiver commence à inquiéter le service des canaux (les sociétés de pêche s'acquittent de droits pour leurs membres et, bien sûr, ils n'aiment pas les cormorans... qui ne paient pas de taxes).

Carrefour des canaux. J'apprends que le canal de l'Ourcq ne peut être vidé (comme le canal Saint-Martin) parce qu'il alimente Paris en eau (je sais, je l'ai déjà dit, mais il faut le répéter). Conséquence, les travaux sont faits sans le vider, avec des scaphandriers, des dragues etc. Pas simple, très coûteux et des revenus de la batellerie qui ne cessent de baisser (c'est marrant ça, les péniches qui empruntent les écluses et les canaux paient une taxe en fonction de leur tonnage comme sous l'Ancien Régime).

    



Écluse du pont de Flandre. En fait deux écluses, une petite qui ne sert plus et une grande. La dénivellation est de 10 mètres (à l'origine, il y avait deux écluses de 5 m). L'Ariane entre pour se faire écluser (c'est le terme, moi je l'employais dans d'autres circonstances). Le bateau descend relativement vite, une dizaine de minutes. L'eau qui est entre les biefs (dans l'écluse quoi), par gravité, c'est-à-dire par son poids, entre dans des canalisations situées de part et d'autre de l'écluse et est rejetée de l'autre côté. Quand c'est vidé, la porte actionnée par des vérins s'ouvre. C'est ça que je n'avais pas pigé : ce n’est pas en ouvrant la porte qu'on fait sortir l'eau. Je n’avais pas vu les gros tuyaux. Normal, on ne les voit pas. Au début du XXe siècle, les éclusiers utilisaient un vaste bassin situé entre les deux écluses : l'eau passait de l'écluse dans le bassin et réciproquement, par gravité, pas de moteur.



Du pont de Flandre, dans une salle, style "tour de contrôle" avec des caméras, des animations graphiques, les éclusiers gèrent les écluses du canal Saint-Denis et du canal Saint-Martin.

Fin de la visite, une dernière info pour la route : un héron habite depuis plusieurs années sur les bords de notre canal entre le quai de Jemmapes et le carrefour des canaux. Je l'ai rencontré un jour, la nuit, en sortant du MK2 : sympa, j'ai pu le photographier au flash à moins de 2 mètres... et il posait le bougre, comme une star sur la Croisette.

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