mardi 28 octobre 2014

Kahlo de Marko por Ricardo

Richard a conçu ce post sur le portrait de Frida Kahlo comme le prolongement du post sur les portraits d'hommes de Jean Faucheur.

Ourcq Living Colors #3 présentait des approches du street art très différentes. Plusieurs productions "méritent" d'être commentées : de superbes graffs qui innovent en dépassant la recherche calligraphique en y intégrant des éléments de fresques rendant ainsi perméable les limites convenues entre tags/graffs et fresques, de splendides fresques qui prolongent l'art du "muralisme".

Aujourd'hui je voudrais à la fois prolonger ma réflexion sur le portrait dans le street art et pénétrer plus profondément l'univers de Marko, j'ai bien dit de Marko et non de son copain "street artist" qui a peint des singes et un drôle de bonhomme qui n'ont de rapport avec l'œuvre que dans l'esprit de celui qui les a peints.



Marko nous propose un beau portrait de Frida Kahlo. Des indices nous font penser qu'il s'est inspiré d'une photographie de la peintre mexicaine (photographie qui a illustré une récente exposition Cartier et qu'on trouve sur Internet). La comparaison entre la photographie et le portrait de Marko montre certes des ressemblances (la coiffure, le foulard noué dans les cheveux, les longues boucles d'oreille, les sourcils épais, le collier, la vue de face, etc.) mais aussi des différences (les bijoux sont quelque peu différents, le foulard également). Ce qui frappe c'est l'absence de ressemblance entre la photographie et le portrait. De nombreux peintres ont rendu compte de traits caractéristiques de Frida Kahlo : ses sourcils épais, le duvet brun qui couvrait sa lèvre, les traits métis de son visage (elle est la fille d'une Espagnole et du photographe Antonio Calderon, d'origine amérindienne).
Le portrait de Marko est un portrait rêvé. Frida Kahlo était moins jolie comme le montrent des photographies d'elle prises dans les années 1930. Ajoutons que son surnom de Frida la coja, Frida la boiteuse, fait allusion à une malformation de sa jambe droite et de son pied suite à la poliomyélite qu'elle eut à l'âge de six ans. Marko choisit de cadrer sur le visage, suivant en cela le cadrage de la photographie "source". Son portrait n'est pas un reflet d'une réalité, il a un statut d'icône.

Et c'est là que cela devient intéressant. Les portraits des notables des XIXe et XXe siècles qui affirmaient la réussite sociale et scellaient la trace des ancêtres sur le modèle des généalogies aristocratiques ont aujourd'hui, du moins dans les pays développés, cédé la place à la photographie (cf. les célèbres photographies du studio Harcourt).
Les street artists ont, en quelque sorte, "récupéré" l'art du portrait, non pas les portraits des puissants, des riches, des happy-few, des privilégiés de la fortune, mais des "icônes" de leur génération. L'art a à voir avec le bricolage ; avec du vieux on fait du neuf, avec des portraits "bourgeois" on rend compte des figures (dans les deux sens du terme) de leur culture.

Ceci établi, pourquoi Marko a-t-il choisi Frida Kahlo ? Faute de lui avoir demandé, on peut avancer des pistes : c'est l'image d'une femme libre (bisexuelle, elle se maria deux fois avec le même homme, Diego Rivera (un des principaux peintres du courant "muraliste"), ses liaisons provoquèrent le scandale (elle eut des amours tumultueuses avec des femmes célèbres et...Trotsky) ; elle incarne le nationalisme mexicain, sa vie douloureuse et tragique en font une héroïne romantique (elle meurt à 47 ans après avoir subi de nombreuses opérations chirurgicales dans d'incroyables douleurs qui lui feront envisager le suicide, une amputation de la jambe, elle voulait ne pas être enterrée allongée...).
Marko a choisi d'en faire une femme jeune, belle, rayonnante, sûre d'elle-même, fière de sa sensualité et de sa sexualité, différente.

Est-ce pour cette raison que son portrait est remarquable ? Les portraits de Frida Kahlo sont nombreux, comme sont très nombreux les livres qui lui sont consacrés, les films, les documentaires, et les hommages divers et variés (un groupe de rock s'appelle La jambe de Frida, en 2010 le nouveau billet de 500 pesos mexicains est à son effigie et à celle de Diego Rivera...). Frida la Scandaleuse, figure politique du Mexique, est à la mode. Personne n'échappe aux modes, Marko, comme d'autres, véhicule l'image de l'icône d'une génération.

L'originalité n'est donc pas l'intérêt majeur de ce portrait. Son intérêt tient, non au fond, mais à la forme. Vu de loin, l'œuvre ressemble à d'autres portraits. Pourtant, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que "sous" l'ocre de la peau un treillage de lignes violettes se développe. J'y vois la marque du calligraffisme de Marko, une réinterprétation de ses lignes inspirées par la calligraphie arabe. Présentes sur le visage, ces arabesques n'apparaissent pas dans la coiffure ni le dessin du foulard harmonieusement noué dans les cheveux noirs. Cet entrelacs de lignes "souterraines", dans le fond bleu, prend son complet essor : les formes sont plus amples, les écarts de couleurs plus nets entre un bleu ciel et un bleu plus sombre.

C'est dans ces formes esthétiques et dans l'éclat de sa palette que s'affirment la maîtrise technique de Marko (seule la bombe aérosol semble avoir été utilisée) et son originalité. Son portrait témoigne de ses "icônes" personnelles ; il fait le lien entre le calligraffisme de la cabine téléphonique et les portraits antérieurs traités avec davantage d'aplats de couleurs.

    


Marko avec modestie rejoint Diego Rivera, le chantre du muralisme, qui a exalté la révolution. Il nous parle de lui à travers une œuvre qui, déjà, se désagrège en même temps que son support. Est-elle encore plus belle parce qu'éphémère? Je le pense, elle "mourra" jeune... comme Frida Kahlo.

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