vendredi 26 juin 2015

Felice Varini, La Villette en suites

Du 15 avril au 13 septembre 2015, La Villette accueille le peintre et plasticien Felice Varini. Il réalise quatre créations : l'une en extérieur dans la galerie est de la Grande Halle et trois dans le pavillon Paul-Delouvrier.

        


La première a été titrée, Arcs de cercle sur diagonale et les trois autres, Quatorze Triangles percés/penchés, Rouge jaune noir bleu entre les disques et les trapèzes et Sept Carrés pour sept colonnes.

Quelques mots sur Felice Varini. Il est né le 6 mars 1952 à Locarno en Suisse. Il étudie le dessin et les arts de la scène avant de s'installer à Paris en 1978. Sa première œuvre figure dans un catalogue de 2004 et porte le nom de Quai des Célestins n°1. Elle a été réalisée à la peinture acrylique dans un appartement privé en 1979. C'est surtout pour ses talents de plasticien que Varini va s'imposer comme une figure marquante de l'art contemporain. Dès le début de sa production plastique, il recourt à l'anamorphose. L'anamorphose est une déformation d'images, de telle sorte que, ou bien des images bizarres redeviennent normales ou des images normales deviennent bizarres quand elles sont vues à une certaine distance et réfléchies dans un miroir courbe. L'anamorphose utilisée par Varini est particulière : d'un point de vue, et d'un seul, le spectateur voit des formes colorées s'organiser en figures géométriques.


L'anamorphose de la galerie est de la Grande halle est un bon exemple. Le visiteur de l'exposition, le spectateur, doit chercher de quel endroit on peut voir des arcs de cercle colorés. La galerie vue de la fontaine aux lions de Nubie, le spectateur ne voit pas l'œuvre (excepté une portion d'arc de cercle collée sur le mur du café des Concerts). Sur le côté, le spectateur voit des formes géométriques irrégulières collées sur tous les matériaux constituant la galerie. Il lui est impossible d’en déduire le sens de ces collages. Situés derrière la Grande Halle, à une certaine hauteur, les fragments de l'œuvre s'organisent en dessinant des arcs de cercle orangés. La logique de l'installation ne peut être perçue que d'un seul point de vue. Les arcs espacés de manière régulière dessinent des portions de courbes qui rompent avec la géométrie de la halle. Les verticales des poteaux, des barrières, des colonnes, les horizontales du sol pavé sont cassées par des courbes fortement structurées. L'orange des arcs s'oppose au gris du bâtiment, aux tons sombres, à la claire obscurité de ce lieu extérieur mais couvert, c'est-à-dire, toujours dans l'ombre. L'effet est saisissant : des fragments déconstruits grâce au regard du spectateur créent une image d'une grande complexité et d'une grande beauté formelle. La photographie peut magnifier l'installation. Le jour "parasite" venant du côté gauche, un traitement d'image peut révéler la magie du lieu.




Dit autrement, c'est le regard du spectateur qui crée l'œuvre. Pour cela, il doit chercher le point de vue, ce petit espace de quelques centimètres carrés, qui révélera l'œuvre, déjà là. Le spectateur est partie prenante dans l'œuvre. Sans son regard, l'œuvre n'existe pas. C'est aussi un jeu, un jeu dans lequel le spectateur doit bouger, se déplacer dans l'espace, pour donner naissance à l'œuvre. Une œuvre fugace puisqu'il suffit d'un pas pour ne plus la voir. Une suite de désordres, réorganisés par la recherche d'un ordre. Un ordre d'une extrême rigueur dans l'exécution matérielle : il suffit d'un fragment mal placé et le désordre s'installe. Un ordre fragile, les arcs de cercle sont créés par l'intelligence du spectateur. C'est lui et lui seul qui donne une forme régulière aux arcs de cercle. C'est lui qui les hiérarchise dans l'espace, du plus grand au plus petit. C'est lui qui comprenant la logique interne voulue par l'artiste "ira chercher" l'arc qui manque sur le mur plan du café des Concerts.



Admiratif de la démarche artistique et du résultat, je reste beaucoup plus réservé sur les œuvres présentées dans les salles du pavillon Paul-Delouvrier. La démarche comprise, il est simple, trop simple, de trouver le point de vue qui révèle les œuvres. Par ailleurs, les œuvres ne peuvent pas mettre en valeur la beauté de salles qui en sont singulièrement dépourvues. Et pour cause, les salles sont des salles d'exposition à l'architecture standard : des rectangles avec une belle hauteur sous plafond. Certes, on découvre non sans plaisir de belles compositions géométriques, des carrés, des trapèzes, des triangles. Les couleurs sont belles : des carrés d'un bleu profond, des triangles rouges, des contrastes forts entre des rouges et des bleus mais au spectacle fugace d'anamorphoses manque la révélation des beautés secrètes et donc cachées d'un lieu. Impossible défi, mettre en valeur des parallélépipèdes blancs.

L'anamorphose quand elle est répétitive devient un "truc", savant certes mais "pauvre". L'intérêt, c'est la recherche du point de vue magique, la quête et sa récompense. C'est un peu comme un bon polar, l'essentiel c'est l'enquête, pas l'identité du criminel. Si c'était cela le contrat de lecture, il suffirait de lire le premier et le dernier chapitre. Last but not least quand le "point magique" est indiqué par un trait tracé sur le sol dans le pavillon Paul-Delouvrier, c'est comme révéler le nom du meurtrier au lecteur qui lit le premier chapitre. Alors, finie la magie, les gens font la queue devant le point de vue, regardent quelques secondes, éventuellement commentent et passent au suivant.
Richard

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