lundi 22 septembre 2014

Richard et le téléphone arabe de Marko !

Je vous propose un post sur Marko93. À cela plusieurs raisons : il est depuis plus de 15 ans très présent dans le quartier, souvent en association avec dAcRuZ, il s'illustre dans le street art dans des dimensions différentes dont deux sont exceptionnelles, le calligraffisme et le light painting, enfin il a été associé à Ourcq Living Colors et De l'Art à l'Ourcq. J'ai choisi pour en parler le décryptage de la cabine téléphonique qu’il a récemment décorée dans le cadre de l'intervention De l'Art à l'Ourcq.

À l'entrée du parc de La Villette, après avoir traversé le pont tournant qui enjambe la darse, le promeneur découvre une cabine téléphonique décorée par un artiste que nous connaissons bien, Marko93. Un cartouche accroché à côté de la cabine téléphonique nous apprend que "cette œuvre fait partie du Parcours d'art urbain De l'Art à l'Ourcq. L'œuvre, il ne s'agit donc pas d'une cabine téléphonique, est une de ces cabines qui disparaissent de nos paysages, décorée sur ses quatre faces par des arabesques de couleurs. Les faces d'une cabine sont des parois de verre mais les effets de transparence ne sont pas recherchés. Marko a utilisé une palette réduite : du blanc, du bleu foncé, du bleu ciel, du noir, du jaune, du rose. Les signes sont dessinés avec une bombe aérosol. Ce qui frappe en tout premier lieu c'est la profusion des signes. La plus grande partie des surfaces des quatre faces est saturée de signes. Ils sont de deux types : certains tracés à la bombe avec une cap à large diffusion servent de fond à d'autres signes peints avec une cap taillée comme un calame. Les couleurs s'opposent en de puissants contrastes. Chaque face possède son organisation propre et les graphismes sont cantonnés dans la surface d'une face. Les signes sont disposés le plus souvent en colonnes. Les lignes droites et les courbes s’enchevêtrent dans une savante harmonie des formes. La signification de l'œuvre échappe au premier regard. Pourtant la récurrence graphique évoque la calligraphie, plus précisément la calligraphie arabe.

L'organisation en hauteur des graphismes apparente le dessin de Marko aux cartouches classiques de la calligraphie. La rupture des droites par des courbes, leur intrication renvoient aux modèles ancestraux. Une interview donnée par Marko93 le 22 décembre 2007 publiée dans Télérama éclaire le style de l'artiste : "En 1992, j'ai commencé à m'intéresser à la calligraphie arabe, pour le trait plus que la signification". Cette forme de street art pratiqué également par d'autres artistes a été baptisée d'un néologisme, le calligraffisme. Nous retrouvons la beauté de ces tracés dans les fresques faites dans la rue de l'Ourcq lors d'Ourcq Living Colors#3. Ce somptueux calligraffisme complète l'œuvre d'autres artistes et sert aussi de fond au beau portrait de Frida Kahlo  de Marko.

    


Pourtant la signification de l'œuvre demeure mystérieuse. Pour la comprendre, il convient de se rapprocher des graphismes, des calligrammes et de mieux les observer. Dans la richesse des traits apparaissent alors des 9 et des 3. Parfois des chiffres (arabes) sont inversés, parfois le 9 et le 3 sont associés et dessinent le nombre 93. Bingo!
Une des clés qui est maintenant évidente s'impose à notre regard. Le jeu sur les tracés de ces deux chiffres devient alors d'un grand intérêt : l'exercice est virtuose. Le regard cherche alors toutes les combinaisons et trouve ce qu'il avait perçu, dans un premier temps, comme un dessin joli mais "sans sens". On se souvient alors que le blaze de Marko est Marko93, qu'il est né dans le 93 à Saint-Denis, s'est d'abord illustré dans sa commune avant de conquérir d'autres espaces, dans d'autres communes, à Paris, dans de nombreux pays étrangers. Sachant que le Parcours urbain est organisé par la direction du tourisme du 93, on comprend mieux la déclinaison des formes du 9 et du 3, souvent utilisés séparément pour nommer la Seine-Saint-Denis, le 9-3.

    


Si l'aspect très graphique de l'œuvre trouve ma totale adhésion, le support m'interroge. Pourquoi une cabine téléphonique ? Ce type de cabine existe encore et sa disposition à l'entrée d'un parc urbain ne produit pas un choc lié à l'étrangeté de cet édicule dans ce lieu. D'autre part, la transparence du verre n'a pas été utilisée par Marko. Enfin, les abords jonchés d'ordures et le vandalisme de petits vauriens qui ont osé déposer leurs excréments dans la cabine gâchent la mise en valeur de l'œuvre.


Reste, et c'est déjà beaucoup, le jeu intellectuel et plastique sur les deux chiffres 9 et 3 et le calligraffisme pur de Marko qui ne l'utilise pas pour décorer une fresque figurative mais comme objet esthétique en-soi.

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