mercredi 11 février 2015

"Nos ennemies les bêtes" par Richard

Le canal c'est plein de choses différentes et passionnantes. 
D'abord, c'est de l'eau, (oui, d'accord, elle est verte et souvent couverte de détritus et même ce matin flottait un cadavre de chat, mais il y a plein de poissons qui y prospèrent – Yop la boum ! – çà c'est pour compenser la vision un peu sordide de la surface de l'eau). Puis des poissons très différents, des carpes, des gardons, des tanches, des silures, des ablettes etc. et même des écrevisses. Autour de ces bestioles s'est développé un écosystème qui diffère selon que nous parlons du canal de l'Ourcq en amont ou le petit bout de canal qui entre dans Paris jusqu'à Jaurès (c’est là que commence à proprement parler le canal Saint-Martin).

Si vous, mes chers lecteurs, aimez le canal, allez donc vous balader en amont de Mareuil-sur-Ourcq. La rivière étroite coule paisiblement entre deux haies de peupliers, la piste cyclable a cédé la place depuis Meaux à l'ancien chemin de halage, c'est ravissant. Il y a des oiseaux, des colverts en pagaille, des cormorans qui remontent de la mer et des ragondins.

Les ragondins pullulent sur les bords du canal. C'est vrai qu'il y en a un peu partout en France. Trop pour certains. Je pense à la FNSEA qui a récemment organisé un safari, non une battue, non une destruction massive de ces charmants rongeurs. Les agriculteurs les haïssent. Ils les accusent d'être invasifs (il est vrai que son prédateur fétiche, le renard roux n'est pas présent partout, d'autant qu'il est lui même systématiquement tué) et de manger, quand ils manquent de plantes aquatiques, les cultures qui bordent les cours d'eau. Des adversaires des paysans disent que l'Homme est aussi une espèce invasive… Bref, entre les écolos et les agriculteurs c'est la guerre (il y en a d'autres, mais ce n'est pas mon sujet).

Bon, des ragondins, j'en ai vu des tas à la campagne. C'est beau comme tout, ça ressemble à un castor ; il est vrai qu'ils appartiennent à la même famille mais la queue est différente (sur la queue, je n'ai rien à dire d'intelligent). Il nage à merveille, plonge, marche sur les rives. C'est assez gros (environ deux fois le poids de mon caniche toy qui pèse 3 kg). Il n'est pas du tout agressif et se laisse approcher d'assez près. 

Nuitamment, franchissant le pont tournant qui commande l'entrée du parc de La Villette, j'ai vu nager au milieu de la famille des cygnes, un ragondin peinard qui allait dans la darse du fond de Rouvray. J'en parle le lendemain autour de moi à mes amis promeneurs de chien, tout le monde connaissait le ragondin de la darse. D'après mon enquête, il vivrait seul depuis des années, dans son petit bout de canal, attendant le soir pour faire un tour en ville.


M. Papoul, "l'homme qui sait tout du canal", le connaît aussi et le hait également. À cause de lui, tous les bureaucrates du Service des Canaux du 60 quai de la Marne sont obligés de se faire vacciner contre la leptospirose. On dit même qu'il peut transmettre la douve du foie. Deux maladies graves qui se transmettent par l'urine. Vous me direz, un ragondin qui fait pipi dans notre canal,  ça ne le fait pas déborder. Certes, vous n'avez pas tort,  mais quelques gouttes d'urine polluent des dizaines de mètres cubes d'eau. J'ai beau dire que les techniciens du Service des Canaux ne se baignent pas régulièrement dans le canal, mon interlocuteur ne décolère pas. Oui, me dit-il, mais ils peuvent toucher l'eau et comme le nuisible s'égaille sur les bords, si vous touchez le sol, paf ! ; la grosse maladie professionnelle. La Ville de Paris ne prend pas de risque : on vaccine tout le monde. 

Avis aux promeneurs de chiens sur les bords du canal : ne touchez pas l'eau, ne touchez pas le sol (pendant que nous y sommes, ne respirez pas non plus, à cause de la proximité des périfs) ; vous et votre compagnon à quatre pattes êtes en danger de mort. Quand je pense qu'il faut que je vous le dise et qu'il n'y a même pas un panneau pour indiquer l'imminence du danger mortel, mortel qu'il est le danger. Mais que font nos élus, nos maires, nos députés, nos sénateurs. On protège les écoles, c'est bien, et on ne protège pas les retraités qui promènent leur chien. Nous frôlons le scandale, voire l'affaire d'État.
En plus, M. Papoul ne les aime pas les ragondins parce que ça creuse des trous dans les berges en terre qui, trop minées, s'effondrent. Et qui paie les réparations ? La Ville de Paris, c'est-à-dire, vous et moi. 

Informé des risques encourus par la promenade de Darling, c'est le nom de mon chien, j'ai recouvert mes chaussures de surchaussures volées dans un hôpital en salle d'op, j'ai mis des moufles et me voilà paré pour affronter le ragondin.


Le problème étant réglé élégamment, c'est serein que dimanche dernier, je terminais ma descente de chien. Sur le quai un monsieur donnait du pain à des canards, un brave homme et au milieu des colverts je vois mon ragondin. Pas farouche, il se mêlait au festin des canards et leur avait piqué un morceau de pain. Comme une loutre, il le prenait dans ses pattes et, tranquille, cassait la croûte, regardant d'un œil, si le brave homme n'en jetait pas un autre. Un vrai cabot : à moins de deux mètres de moi à faire des cabrioles aquatiques, à lâcher son quignon, à le grignoter. Même pas peur de moi, encore moins de mon molosse. Pas besoin de zoomer, il se rapproche pour la photo, me montre son bon profil, me fixe sans ciller.

Amis lecteurs, vous aurez compris l'étendue des dangers qui nous menacent. L'ennemi est là, tapi (sur Tapie, j'ai rien d'intelligent à dire non plus) dans l'ombre de la darse.

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